La lourde peine de prison infligée aux sismologues italiens a suscité une avalanche de critiques. Au Canada, l'abandon du questionnaire long de Statistique Canada, la destruction de la banque de données du régime des armes à feu, l'attrition des laboratoires fédéraux en recherche, le désengagement du pays envers Kyoto, l'obligation des scientifiques fédéraux d'avoir une permission avant de s'adresser au public - et j'en passe -, a soulevé le même tollé de la part des scientifiques.    

Au Québec, toutes ces dérives de l'intrusion de l'État dans la vie scientifique ont été vivement dénoncées. Mais dans la vraie vie, comment les décisions se prennent-elles? Le passé récent est plutôt alarmant.

La fermeture de Gentilly-2 est annoncée avant la parution du rapport d'Hydro-Québec. Malgré la critique d'ingénieurs sur le réalisme des coûts avancés, il n'est pas question de s'informer davantage. La décision est irrévocable.

Avant que les États généraux sur l'éducation supérieure tranchent, le ministre responsable nous dit douter que les universités aient besoin de financement supplémentaire.

Non content des décisions du BAPE dans le passé, un ministre s'empresse de mettre à la porte le président. À la direction de l'Agence métropolitaine de Montréal, un organisme hautement technique, on nomme un ancien député. À certains égards, cette non-confiance envers nos institutions ne semble-t-elle pas nous ramener au temps de Duplessis?

Le ministre Sylvain Gaudreault s'est empressé d'annuler la décision, prise par son ministère, d'abolir son service de vérification sur les projets d'infrastructures municipaux. Qui à la place sera licencié? L'attrition de l'expertise pointue dans les ministères date de 15 ans. Cette règle du remplacement d'un fonctionnaire pour deux départs va-t-elle être ajustée?

Vivement un moratoire sur l'uranium, même si les scientifiques sont rassurants. Le moratoire sur le gaz de schiste est en vigueur avant que le rapport sur l'évaluation environnementale stratégique paraisse. En haut lieu, on doute que la composition du comité soit équilibrée. Horreur, une personne de l'industrie fait partie du comité! Désormais, pour qu'un comité soit crédible, il doit être composé de personnes qui de près ou de loin n'ont aucun lien avec le domaine étudié, à part bien sûr si on est écologiste. Au passage, l'oligarchie dénoncée par Hervé Kempf peut s'exprimer de diverses façons. La pire est celle où le pouvoir s'associe des conseillers aux idées préconçues.

Pas question qu'on aille de l'avant avec le gaz de schiste tant que l'on aura pas plus d'information. Mais en même temps, pas question de faire de l'exploration pour en connaître plus sur cette ressource. Qui a dit que c'est en travaillant que l'on apprend à travailler? Cette vision que l'expérience doit être remplacée par l'attente et la réflexion théorique est un changement de paradigme majeur, car de tout temps, la connaissance et les faits viennent de ceux qui travaillent sur le terrain, pas de ceux qui pensent tout savoir.

La «nouvelle démocratie citoyenne» du Québec est-elle plus pro-connaissance? Y a-t-il encore une place pour la science et le génie, ainsi que l'expertise pointue auprès de nos politiciens? Pas sûr. Dans bien des domaines, l'époque actuelle suggère les modes «pause et reset», sans jamais en étudier à fond les conséquences, sans jamais s'associer les experts qui pourtant ont une connaissance plus détaillée du fonctionnement des choses.

La science, l'industrie et les corps professionnels n'ont pas réponse à tout, mais ne pas considérer leur expertise dans des décisions politiques est dangereux. Cette méfiance chronique envers toute expertise pointue s'apparente beaucoup plus à une époque révolue pleine de préjugés et de sciences infuses, genre Crédit social de Réal Caouette, qu'à celle d'une vision progressiste de la société où tous les intervenants ont une contribution à faire.

Doute, humilité, respect de l'opinion des autres, voilà des valeurs scientifiques auxquels tous devraient adhérer.