Dans sa logique étatiste, la décision du CRTC refusant à BCE d'acquérir Astral se tient. Investi du mandat plénipotentiaire de réglementer et de surveiller les moindres aspects du système canadien de radiodiffusion, rien n'échappe au contrôle du CRTC et à sa bienveillante supervision.

On ne s'étonnera donc pas que les conseillers du CRTC aient usurpé le rôle du Bureau de la concurrence en appuyant notamment leur décision sur leur estimation que la transaction aurait une incidence négative sur la concurrence.

BCE était d'avis que la transaction était nécessaire pour affronter les nouveaux joueurs mondiaux, tels Microsoft, Google, Apple, YouTube et Netflix qui, de plus en plus, offrent par le web de nouveaux services audio et vidéo aux Canadiens. A-t-elle raison? Peut-être que non. D'ailleurs, BCE n'en serait pas à sa première erreur stratégique (on se rappelle l'achat catastrophique de Teleglobe pour 6,5 milliards...).

De son côté, Vidéotron craignait que BCE n'utilise son pouvoir de marché accru de façon anticoncurrentielle pour l'empêcher d'avoir accès à de la programmation ou pour lui demander un prix déraisonnable pour celle-ci.

Le problème, c'est que les bureaucrates du CRTC, des êtres humains aussi imparfaits que vous et moi, ne sont pas dotés de pouvoir cartomancien de prédire l'avenir et ne savent pas qui a raison. Pourquoi ne pas alors laisser les consommateurs décider?

De plus, leur logique quant à l'évaluation du pouvoir excessif sur le marché qu'obtiendrait BCE est défectueuse. Ils adoptent une vision statique de la concurrence qui est de plus en plus contestée parmi les économistes. En effet, la concurrence ne se mesure pas simplement par des parts de marché ou par le nombre d'entreprises dans un marché. C'est plutôt le nombre de concurrents potentiels qui compte, dans un environnement où il n'existe pas de barrières à l'entrée.

Le CRTC croit encore qu'il contrôle toutes ces barrières, mais heureusement pour le consommateur, le web enlève de plus en plus ces empêchements au libre choix. Dans un contexte où, de plus en plus, le consommateur canadien peut écouter la radio à partir d'un serveur web en Grande-Bretagne ou sur un satellite américain, ou ses émissions télé sur AppleTV, le comportement monopolistique de BCE se retournerait contre elle et encouragerait la percée de ces nouveaux concurrents.

Le CRTC est prisonnier de l'ère de Symphorien par une loi sur la radiodiffusion dépassée et désuète qui lui donne des pouvoirs démesurés et discrétionnaires. Le gouvernement conservateur doit se pencher sur le rôle du conseil soviétique de ce que nous avons le droit de regarder et de ne pas regarder qui improvise de nouvelles politiques au gré des humeurs de son président.

Il est temps que les nationalistes culturels canadiens hissent le drapeau blanc et reconnaissent que le web va finir par gagner.

Continuer de permettre au CRTC de poursuivre cette bataille d'isolationnisme culturel perdue d'avance ne fait que bercer les radiodiffuseurs (surtout ceux du Canada anglais) dans une illusion confortante qui risque de les livrer, mains liées, aux nouveaux concurrents américains du web plutôt que de les mettre sur un pied de guerre pour affronter les défis que présentent ces technologies émergentes.