La récente décision du gouvernement Harper de partager avec la Grande-Bretagne la représentation diplomatique du Canada dans certains endroits du globe a soulevé un tollé dont l'ampleur semble avoir surpris le ministre des Affaires étrangères. John Baird soutient que sa décision n'est qu'une simple affaire de gestion et d'économies d'échelle, et que le partage de locaux dans les ambassades britanniques n'affecte en rien la souveraineté du Canada.

Le Canada a souvent partagé des locaux diplomatiques avec ses alliés, mais jamais auparavant cela n'avait soulevé de question sur l'autonomie de sa politique internationale. Ce sont les conservateurs eux-mêmes qui ont créé cette perception dans l'opinion publique en voulant refaire l'identité du Canada autour des symboles de la monarchie britannique. Ce sont eux qui jouent à fond la carte de l'attachement à l'ancien empire et qui cherchent à ramener les références identitaires du Canada à l'ère conservatrice de Diefenbaker et de l'Union Jack afin d'effacer l'héritage libéral laissé depuis les années 60.

L'un des secteurs où cet héritage est incontestablement le plus marqué est celui de la politique internationale du Canada depuis Lester B. Pearson. C'est aussi le secteur où le gouvernement Harper cherche le plus radicalement à se démarquer des pratiques antérieures.

Aux yeux des conservateurs, l'impartialité qui a valu au Canada sa réputation de «honest broker» n'est qu'une forme de relativisme moral qui masque une absence de courage à prendre parti pour le bien et contre le mal.

Mais en prenant parti plus ouvertement dans les conflits du monde - en moralisant sa politique étrangère - , le gouvernement Harper affaiblit gravement le Canada. Il lui soustrait toute sa marge de manoeuvre. Il mine la réputation d'arbitre impartial qui a valu à Pearson le prix Nobel de la paix.

Il serait erroné de croire que la rupture avec le passé recherchée par le gouvernement Harper ne concerne que la politique extérieure du Canada. Elle concerne autant, sinon plus, sa politique intérieure. Dans toutes les sociétés, la politique étrangère constitue une sorte de miroir qui renvoie à la communauté nationale une image qu'elle se fait d'elle-même quant à sa place et à son rôle dans la politique mondiale. La politique internationale de Pearson est le produit de la politique d'un État fédéral qui, dans les années 60, se redéfinit de l'intérieur sur le plan linguistique et identitaire et qui, en même temps, projette à l'extérieur cette nouvelle vision de lui-même, exploitant sa double appartenance française et anglaise pour faire rayonner le Canada dans le monde.

La politique étrangère du Canada de Pearson est inscrite dans un moment où le Québec est en pleine Révolution tranquille et où la société n'est pas encore divisée entre fédéralistes et souverainistes. C'est une politique qui reflète un certain équilibre dans les rapports de force entre le Québec et le reste du Canada à la fin des années 60.

La politique internationale est un élément fort de l'identification des Québécois au Canada. La rupture de M. Harper en politique étrangère marque aussi une rupture dans une certaine façon de comprendre le Canada et la place du Québec dans la fédération. La politique internationale «pearsonienne» se voulait porteuse des consensus du Québec français et du Canada anglais dans le monde. Elle était le produit d'un certain «contrat», d'une entente implicite, entre les élites politiques des deux communautés quant à l'image qu'ils voulaient projeter du Canada sur la scène internationale. C'est ce «contrat» que Stephen Harper ne se sent plus l'obligation de reconnaître aujourd'hui.

L'opinion publique québécoise peut bien s'opposer en bloc et de façon soutenue à sa politique étrangère, mais ceci ne le fait pas bouger d'un centimètre.

Il fut pourtant un temps où le gouvernement du Canada aurait été sensible à la voix du Québec dans sa politique internationale. La politique étrangère des conservateurs semble dire qu'il n'y a maintenant plus de véritable coût politique à se passer de cette voix.