Il serait surprenant que la commission Charbonneau et les recommandations qui en découleront aient un impact significatif sur la société québécoise. Pour espérer mieux, il faudrait croire que les maux qui rongent le domaine de la construction se limitent à l'asphalte et au béton, diagnostic limité qui se compare au médecin s'inquiétant d'un pouls rapide chez son patient qui s'écroule sous le coup d'un anévrisme.

La commission Charbonneau met à jour ce qui est pratique courante dans la vie sociale québécoise, soit le copinage. Le Québec, «la république des petits amis», se plaisait à l'appeler un chauffeur de taxi haïtien. Il n'aurait pu mieux dire. Si ce copinage irrite lorsqu'il entraîne les deniers publics, son essence même n'est jamais remise en question au sein de la société.

Prenons un exemple simple. La plupart des employeurs au Québec, amenés à choisir entre un candidat au CV étoffé ou l'ami d'un cousin, opteront pour le deuxième. Une telle pratique est tellement courante que les gens ne s'arrêtent pas à sa vraie signification.

Oubliez la xénophobie, car ce copinage peut tout aussi bien s'exercer au détriment d'un Québécois et au profit de l'ami sénégalais d'un beau-frère éloigné.

Les raisons du copinage sont plus profondes. Ce qui est espéré d'une telle pratique, c'est qu'elle permette de mettre la main sur quelqu'un de «confiance». La compétence est généralement secondaire, lorsqu'elle n'est pas simplement accessoire.

Cette «confiance», c'est d'abord l'espoir que le futur employé, collègue, subalterne, se pliera essentiellement au mode de fonctionnement et se montrera fidèle à «l'entreprise». On craint la personne qui, de par sa compétence ou ses expériences diversifiées, risquerait de saper le fonctionnement établi ou dénoncer les absurdités.

Je n'ai jamais connu une organisation qui ne s'assurait pas de punir sévèrement les whistleblowers. La «fidélité» est importante et les problématiques doivent être «réglées» à l'interne, régler et étouffer ayant ici des significations identiques.

Les gens ne réalisent toutefois pas que c'est exactement cette mentalité qui assure la préservation de la culture des privilèges et des passe-droits, des voyages luxueux de commissaires scolaires aux manigances dans la construction.

En limitant la problématique à la mafia ou à quelques politiciens corrompus, on rate une occasion de se questionner sur notre mode de fonctionnement en tant que société. Tant que les gens qui se lèveront pour dénoncer les problèmes seront punis, ostracisés, relégués aux banquettes arrières ou, comme pour Jacques Duchesneau, attaqués dans leur crédibilité par quelques avocats en goguette, aucun changement perceptible ne sera réalisé.

Dans quelque temps, ce sera un autre scandale, d'autres copinages, d'autres pratiques douteuses, qui n'auront été rendus possibles que par la mentalité d'attaquer toujours le messager pour ne rien entendre du message. Tant que les «souffleurs de sifflets» ne seront pas protégés légalement et leurs tourmenteurs sanctionnés, rien de significatif ne changera dans «la république des petits amis».

Présentement, rien ne laisse prévoir un changement significatif dans de telles moeurs. Peu importe les efforts déployés, la commission ne changera en rien le cancer qui ronge beaucoup plus profondément le Québec.