Dans son programme, le gouvernement Marois estimait que les gens les mieux nantis devaient faire un effort additionnel pour la collectivité et qu'en conséquence, il taxerait davantage les salariés de plus de 130 000$ et augmenterait le taux de taxation sur les dividendes et le profit de capital.

Autant le gouvernement Charest a introduit plusieurs mesures fiscales ou tarifaires, qui ne tiennent pas compte du niveau de revenus des contribuables, ce qui les rendent souvent difficilement acceptables sur un plan de l'équité sociale, autant les mesures proposées par le gouvernement actuel, inspirées d'une tout autre philosophie, ne sont pas plus acceptables et risquent de causer des dommages sérieux à l'économie du Québec.

Dans les deux cas, on prend des positions idéologiques de droite ou de gauche, et on s'éloigne d'un sain pragmatisme pour régler des problèmes réels.

Les gens vraiment fortunés et les gens de pouvoir sont comme des oiseaux sur une branche: ils n'attendent pas l'ouverture de la chasse pour se mettre à l'abri. Les fiscalistes sont présentement débordés. Que cela plaise ou non, ces gens jouent un rôle déterminant dans l'activité économique et la prospérité d'un pays. La mobilité des décideurs s'est considérablement accrue avec les technologies modernes. BCE a, sans tambour ni trompette, pratiquement déménagé son vrai siège social de Montréal à Toronto.

Si le gouvernement Marois donne suite à ses intentions, on risque fort de voir plusieurs décideurs, y compris des francophones, aller sous des cieux plus cléments sur le plan fiscal, en laissant au Québec le deuxième ou le troisième niveau décisionnel de leurs entreprises. On ne s'en rendra même pas compte à court terme; tout sera très discret.

La situation sera d'autant plus regrettable que la compétitivité avec l'Ontario s'est largement améliorée, surtout avec les récentes mesures prises dans cette province. Nous risquons aussi de détruire une bonne partie des efforts que les divers gouvernements du Québec ont fait depuis des années pour attirer et bâtir de vrais centres de décision au Québec.

Les gouvernements peuvent, à certains moments de leur histoire, décider de heurter de plein fouet leur communauté financière; ceci a été fait au Québec avec la loi 101. La Sun Life avait alors décidé de déménager son siège social de Montréal à Toronto avec beaucoup d'éclat. La décision du gouvernement Lévesque était motivée par des choix fondamentaux de société, notamment au niveau de la langue.

Dans le cas présent, la situation est tout à fait différente. Il ne s'agit pas d'un choix de société, mais d'un choix budgétaire pour combler un trou d'un milliard de dollars.

Tout président de comité de ressources humaines d'une très grande entreprise sait à quel point la rémunération des hauts dirigeants est un sujet hypersensible et complexe; même les chefs de direction les plus raisonnables ont une sensibilité d'écorché. Il faut éviter les improvisations et les approches dogmatiques, à moins de rechercher l'affrontement.

Si on veut poser un geste symbolique, le gouvernement pourrait, comme l'a d'ailleurs recommandé l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques (IGOPP) dans une prise de position sur la rémunération des hauts dirigeants, taxer comme salaire le produit des options plutôt que comme profit de capital; cela serait logique, car il s'agit de la partie long terme de la rémunération d'un dirigeant.

Après une absence de plusieurs années, un parti qui arrive au pouvoir veut rapidement mettre en place des propositions de changements; ceci étant, surtout si l'on est minoritaire, il faut bien choisir ses objectifs et ses batailles, et s'assurer que les mesures prises feront effectivement progresser le Québec.