Ceux qui ont été témoins des manifestations qui ont pris l'Espagne et la Grèce d'assaut au cours des derniers jours ont pu prendre le pouls de la révolte sociale à laquelle s'exposent les pays qui gouvernent mal leur économie et leurs finances pendant trop longtemps.

Contrairement à une croyance répandue, l'économie n'est pas un phénomène matériel que nous pouvons dissocier du social; il s'agit avant tout d'un phénomène humain. Et lorsque l'économie s'effondre, les conséquences humaines sont d'une gravité déconcertante.

Encore récemment, l'Espagne était une force économique. Le monde saluait son économie « verte », largement subventionnée par l'État, et ses conditions de vie favorables. L'Espagne voit maintenant son taux de chômage avoisiner les 25% (50% chez les jeunes), tandis que l'inflation s'accélère et que la misère gagne progressivement le pays. Sans que ce ne soit une surprise pour certains, le modèle de croissance espagnol, dirigé par une idéologie préconisant le déficit et l'emprunt plutôt que la productivité, s'est avéré insoutenable. Aujourd'hui, l'Espagne et les autres pays périphériques européens sont confinés par l'Allemagne, qui sert essentiellement de caution à la zone euro, à assainir leurs finances publiques par le truchement de politiques d'austérité.

Ces politiques ont deux volets : augmenter les revenus de l'État et réduire ses dépenses. Et comme le premier volet implique des hausses d'impôts tandis que le second implique des sacrifices dans les services publics, les politiques d'austérité soulèvent l'ire de la rue puisqu'elles annoncent une réduction du niveau de vie du citoyen dans l'immédiat. La protestation contre l'austérité est donc compréhensible même si elle est mal dirigée, s'agissant de la seule conclusion possible à un rythme de vie basé sur l'effet de levier généré par l'endettement, permettant de consommer, pendant un moment, davantage que ce que l'on produit.

Le Québec a beaucoup à apprendre des erreurs de l'Europe. Par exemple, les hausses d'impôt annoncées par le gouvernement Marois sont peut-être une bonne astuce politique en ce qu'elles favorisent une majorité aux dépens d'une minorité, mais elles sont de nature à décourager encore davantage la production, qui accuse déjà un important retard, en plus d'alimenter un inquiétant climat de lutte des classes.

Le Québec a encore le temps, sans doute, de réaliser que son modèle n'est pas plus soutenable que celui des pays européens socio-démocrates dont il a eu tendance à s'inspirer au fil des ans. Il doit rapidement prendre conscience qu'avec une dette accumulée dépassant les 250 milliards $ pour une population de 7 millions dont la productivité est noyée par une mer de lois et de règlements à laquelle s'ajoutent des taxes, impôts et tarifs étouffants, son statut d'un des états les plus pauvres en Amérique du Nord n'a rien à voir avec l'existence d'un quelconque libre-marché laissé à lui-même.

L'austérité nous sera imposée par d'autres si nous ne prenons pas les devants, menaçant notre autonomie. Et lorsqu'elle s'imposera, les manifestations étudiantes du printemps dernier, générées par l'annonce d'une timide hausse des droits de scolarité, pourraient n'être qu'un présage de la grogne qui gagnera les divers groupes d'intérêt qui ont été habitués à dépendre des largesses de l'État sans avoir à en produire la valeur.

Le choix qui s'offre encore à nous est de continuer de tout attendre de l'État en soutenant un modèle qui nous appauvrit progressivement, ou de se responsabiliser et réviser à la baisse nos attentes envers le rôle du gouvernement. Ce second choix requiert toutefois de semer les germes d'une culture économique que le nouveau gouvernement semble encore moins disposé à semer que ne l'était son prédécesseur, ce qui n'augure guère bien pour l'avenir...