Je comprends le «désenchantement» et l'impatience de l'éditorialiste Mario Roy (La Presse, 19 septembre) devant le peu de progrès en terre d'islam à la suite du Printemps arabe.

Personnellement, j'ai toutes les raisons du monde de vivre une déception amère, particulièrement à cause de mes origines syriennes et de mon attachement aux libertés démocratiques et à la laïcité. Mais rien au monde ne me fera regretter les anciens régimes qui ont écrasé les bourgeons de la modernité dans plusieurs pays arabes dès l'arrivée de Nasser au pouvoir en 1952.

Contrairement à l'opinion de nombreux sceptiques, je pense que, dans les pays arabes, à la suite des révoltes des jeunes et des changements qui les ont suivies, l'espoir, et non pas les changements souhaités par les jeunes qui les ont déclenchées, est au rendez-vous.

Ces jeunes, hommes et femmes, n'ont pas scandé les slogans religieux, ils n'ont pas réclamé un État islamique et n'ont pas demandé d'appliquer la charia. Stupéfait, le monde découvre une jeunesse branchée et moderne qui réclame la liberté, la dignité, la démocratie et le désir de vivre comme les jeunes à Paris, Londres, New York ou même à Istanbul.

Mais cette jeunesse n'avait ni leader ni organisations ou partis politiques. Et c'est tout à fait normal après un demi-siècle de dictatures totalitaires répressives.

Les votes précipités n'ont pas reflété la volonté de changement qui habite ces jeunes pour remplacer les dictatures par les sociétés libres et démocratiques dont ils rêvaient. Les résultats électoraux qu'on connaît traduisaient également la faiblesse des forces progressistes, coupées du peuple et qui n'ont pas toujours été des fervents défenseurs des libertés et de la laïcité et encore moins de l'égalité hommes-femmes ou des libertés individuelles et sexuelles.

Il est bon de rappeler aux Occidentaux, et même aux musulmans, que l'islam politique en général et le terrorisme islamique en particulier ont été, en bonne partie, encouragés et financés par les États-Unis et le royaume saoudien wahhabite à l'époque de la guerre froide contre «l'ennemi communiste». Aujourd'hui, pour renforcer l'axe sunnite contre l'axe chiite dirigé par l'Iran, les États-Unis, l'Arabie saoudite et le Qatar apportent leur appui, surtout en pétrodollars, aux islamistes au pouvoir en Égypte et en Tunisie. En Libye, où les islamistes ont eu 10% des suffrages, l'émir de Qatar «achète» les candidats indépendants pour renforcer les islamistes au parlement élu.

Aujourd'hui, dans les trois premiers pays du Printemps arabe, une lutte féroce, rarement couverte par les médias occidentaux, est en cours entre islamistes et libéraux sur les libertés, l'application de la charia et les droits des femmes. Les jeunes habités par le sentiment amer que leur révolution a été confisquée participent activement à cette lutte et s'organisent politiquement. En Égypte, ils s'unissent derrière El-Baradai pour former une force politique contre les frères musulmans.

En Tunisie, ils ont réussi à empêcher le parti islamiste Ennahda, qui faisait miroiter pendant la campagne électorale qu'il s'inspirait du modèle turc, de mettre dans la constitution une clause stipulant que la femme est complémentaire à l'homme (et non égale).

Malgré le désenchantement et beaucoup de déception, je garde espoir (malgré la tragédie vécue par mon peuple en Syrie). Le Printemps arabe a libéré une immense énergie nouvelle, a rendu l'air plus respirable et a donné espoir aux jeunes.

Notre rôle en tant que démocrates laïques (partout dans le monde) est de travailler pour conserver et renforcer les jeunes démocraties dans les pays arabes et continuer la marche pour les libertés individuelles et collectives et pour la laïcité.