Depuis quelques jours, on assiste à une campagne savamment orchestrée contre l'ajout de deux paliers d'imposition pour les personnes dont les revenus imposables dépassent 130 000$ et 250 000$. Même levée de boucliers devant la volonté de revoir à la hausse les niveaux d'imposition des dividendes et des gains de capital.

Je veux bien entendre les appels à la prudence dans un contexte de faible croissance et de fragilité de l'économie mondiale. Je sais par ailleurs qu'avec l'abolition de la taxe santé, les 50% de Québécois qui gagnaient moins de 26 300$ en 2009 pourront remettre chacun 200$ par année dans l'économie québécoise en achetant nourriture, chaussures, médicaments, logement, fournitures scolaires et à l'occasion quelques sorties au cinéma. Ainsi va la vie d'un grand nombre de nos concitoyens. Ils n'ont tout simplement pas les moyens de laisser dormir quoi que ce soit dans les doublures de matelas!

Curieusement, au plus fort de la crise, les spécialistes insistaient sur l'importance des dépenses des ménages comme premier moteur de l'économie, bien avant l'investissement en entreprise. Aujourd'hui, tout cela est soudainement disparu des écrans radars, comme le rôle joué par la pauvreté et les inégalités dans la genèse de la crise de 2008.

Bien sûr, 130 000$ de revenus imposables, une fois les déductions pour REER et fonds de pension déduites du salaire, ne fait pas de l'ensemble des 145 000 personnes concernées de richissimes magnats, mais tout de même...

Si la richesse est relative, la pauvreté se mesure aussi en partie par rapport aux écarts de revenus. Qu'on en juge: 255 000 personnes vivent du salaire minimum. Une fraction d'entre elles tire un maigre revenu de moins de 20 000$ par année après 2000 heures de travail. Plus de 16% de la main-d'oeuvre québécoise est à statut précaire. Alors que les salaires réels stagnent, le 1% des plus riches accapare 14% de la richesse nationale canadienne.

Comment expliquer aux familles qui triment dur, aux petits salariés ou aux pensionnés à revenus modestes que pour eux, chaque dollar de revenu est imposable à 100%, alors que les gains en capital le sont à 50% et que les dividendes bénéficient d'un crédit d'impôt? La commission Carter sur la fiscalité, nommée par le très conservateur Diefenbaker, disait à qui voulait l'entendre «a buck is a buck», alors que le PQ va moins loin dans cette logique. Difficile aussi de parler d'enfer fiscal avec l'ajout d'un palier d'imposition quand on sait que le gouvernement Harper le fait déjà!

Certes, un débat ouvert est nécessaire. Il doit voir plus large et se pencher sur les paradis fiscaux, sur le coût des médicaments, sur des approches innovantes qui conjugueraient mieux fiscalité et environnement par exemple. Pourquoi ne pas être plus audacieux encore et regarder du côté des pays scandinaves qui se démarquent tant sur le plan économique que dans la lutte contre les inégalités?

Les conditions d'un débat serein passent certes par le retrait du caractère rétroactif des hausses, mais aussi par l'abandon du cliché réducteur d'un gouvernement qui ne rêverait que de faire payer les riches. Le PQ annonce aussi son intention de vouloir réduire les dépenses. Au-delà d'un certain niveau de compressions, c'est nécessairement la classe moyenne et les plus pauvres qui casquent, à travers les coupes de services et d'emplois, particulièrement sensibles chez les moins nantis.

Devant le caractère hautement régressif de la taxe santé, il est gênant de prétendre que le remède est pire que le mal. C'est d'autant plus indigeste d'entendre critiquer l'abolition de cette taxe, quand on se rappelle que les détracteurs d'aujourd'hui étaient les partisans d'hier d'une taxe apparentée à la «poll tax» des années Thatcher, alors qu'au-delà de 14 000$ de revenus, tous sont imposés à hauteur de 200$.