Tous attendaient avec grande impatience la reprise des travaux de la commission d'enquête Charbonneau. Nos attentes étaient élevées puisque le légendaire Joseph Pistone devait témoigner et parce que le procureur Sylvain Lussier avait promis du croustillant.

Nous avons été plutôt conviés à un cours d'histoire. Plusieurs ont été déçus. Pourtant, sur le plan de l'éthique, la dernière semaine a été très riche en réflexions. Voici le palmarès des trois enjeux éthiques les plus intéressants.

En troisième position, la puissance des valeurs des organisations mafieuses telle que la Costa Nostra. Bien entendu, ces valeurs ont été  soigneusement choisies dans un dessein criminel pour éviter de se faire prendre (par exemple l'omerta ou loi du silence) ou pour éviter de se chicaner (par exemple de ne jamais regarder les épouses de tes amis...). Pourtant, ces valeurs ont contribué au succès et à la pérennité de ces organisations. À l'inverse, comme le soulignait l'ex-enquêteur du SPVM Richard Dupuis, la disparition graduelle de ces valeurs au sein de la nouvelle génération de mafieux pourrait contribuer  à leur perte. Même Joe Massino, ancien parrain de la mafia new-yorkaise, est devenu dénonciateur, entraînant  l'emprisonnement de Vito Rizzuto. Nous pouvons en tirer comme leçon que nos entreprises ne devraient pas se contenter d'avoir des valeurs accolées  sur un poster, mais devraient investir des efforts pour les communiquer et les faire partager. Il existe peu de moyens de mobiliser les employés et des valeurs fortes constituent un levier puissant permettant de travailler dans le même sens et de se faire confiance.

En deuxième position du palmarès, l'Ontario amorce une prise de conscience des problèmes qui se cachent dans sa propre cour. Le témoignage de l'enquêteur Mike Amato et les propos de Ben Soave, ancien chef de la RCMP, deux personnes crédibles, sont des uppercuts à l'éthique de l'Ontario.  Le crime organisé y serait au moins aussi infiltré qu'au Québec, mais plus discret. C'est logique puisqu'un bon modèle d'affaires peut s'importer partout.

Même le premier ministre Dalton McGuinty et le maire de Toronto, Rob Ford, se sont montrés surpris.  Sont-ils naïfs ou font-ils preuve d'aveuglement volontaire ? Souvent les élus et administrateurs sont les derniers au courant. Ce n'est pas surprenant, car le crime organisé et les entrepreneurs à l'éthique élastique cherchent  à corrompre et établir des relations avec des gens à l'interne qui ne changent pas à tous les quatre ans. Ils investissent sur le long terme...

Mais il est inquiétant de constater que les autorités policières de  l'Ontario connaissent très bien ce phénomène alors que les élus apparaissent être déconnectés dans leur tour d'ivoire. Finalement, l'Ontario est peut-être en train de se réveiller comme le Québec il y a quatre ou cinq ans.  Le Québec, perçue comme la province la plus corrompue, pourrait peut-être devenir la première à faire le ménage dans sa cour...

En première position du palmarès, l'approche de style «gentlemen» du crime organisé a contribué à créer  une dangereuse culture de normalité pour les retours d'ascenseurs, les ententes secrètes et l'aveuglement volontaire. Les mafieux ne sont plus des brutes qui cassent des jambes, mais des hommes d'affaires qui sont des modèles dans leur communauté, coach de soccer le soir et donateurs auprès de multiples organismes de bienfaisance, et peut-être des partis politiques.  Ils ont contaminé plusieurs de nos entrepreneurs et professionnels, si bien que nombreux considèrent que «la business ça marche de même». De nombreuses personnes prises dans cette spirale sont dans la vie de tous les jours de bonnes personnes, mais une fois qu'elles ont mis un pied dans la porte, c'est difficile de revenir en arrière. Il sera pour cette raison difficile de trouver des preuves puisque peu de gens oseront  dénoncer des façons de faire auxquelles ils s'adonnent eux-mêmes.

D'ailleurs, l'une des leçons que nous tirerons de cette commission, sera que même si l'on attrape quelques bandits et découvrons certains stratagèmes, la véritable solution nous revient, soit celle de changer nos façons de faire des affaires, de ne plus considérer certaines pratiques comme de la normalité.

J'ai bon espoir que cette commission devienne une bouffée d'air frais pour le Québec. Le «croustillant» s'en vient, ne vous inquiétez pas, mais dans l'attente ce n'est pas ennuyant pour autant.