«En réclamant le gouvernement responsable pour la colonie québécoise, Louis-Joseph Papineau voulait ce qu'on appelle aujourd'hui la souveraineté. En réclamant son maintien dans l'Empire britannique, il proposait une forme d'association économique et politique qu'on appelle aujourd'hui le partenariat.»       - Jacques Parizeau, premier ministre du Québec, 11 septembre 1995        

Extrait du livre.

Comment la réclamation d'une liberté parlementaire coloniale peut-elle être considérée comme la volonté de souveraineté d'un peuple? Si l'on suit le raisonnement de Jacques Parizeau, le Québec serait souverain depuis au moins 1848 (année de l'obtention définitive du gouvernement responsable), et Louis-Hippolyte LaFontaine (1807-1864) serait devenu le héros de notre indépendance. L'histoire coloniale du Québec serait achevée depuis 150 ans, ce qui rendrait sans objet le référendum du Parti québécois.

Si le raisonnement de Parizeau cloche, c'est notamment parce que la prémisse est fausse: Louis-Joseph Papineau n'a jamais réclamé, de manière claire et affirmée, le gouvernement responsable. Certes, dans son Adresse d'octobre 1837, il y a des formules ambiguës: l'éducation et les moeurs américaines «demandent un système de gouvernement entièrement dépendant du peuple et qui lui soit directement responsable»; on évoque «l'insupportable fardeau d'un exécutif irresponsable sous la direction d'un chef ignorant et hypocrite»; on invite «tous nos concitoyens dans toute la province à unir leurs efforts aux nôtres afin de procurer à notre commune patrie un système de gouvernement bon, peu dispendieux et responsable».

Le 1er juin 1837, à l'assemblée de Sainte-Scholastique, Papineau avait été encore plus clair: «Persistons à demander un conseil législatif électif, un gouvernement responsable, l'abolition de la compagnie des terres si haïssable et si haïe, le contrôle par les Représentants de notre argent; insistons sur ce que les officiers publics soient nos serviteurs, comme ils le sont et doivent l'être, et non pas nos maîtres comme ils le prétendent et le veulent; et justice nous sera rendue, ou nous nous la ferons.»

En décembre 1834, il parlait déjà de la nécessité d'un «gouvernement local, responsable et national [...] quant aux règlements de ses intérêts locaux, avec une autorité de surveillance dans le gouvernement impérial, pour décider de la paix et de la guerre dans des relations de commerce avec l'étranger». Cela dit, et mis à part l'appel de l'assemblée de Sainte-Scholastique qui est plutôt atypique, il faut entendre ces appels au gouvernement responsable au sens d'une volonté générale de «responsabiliser» le gouvernement, de le ramener à la hauteur des citoyens desquels il doit recevoir ses mandats.

Papineau n'évoque pas ni ne réclame un gouvernement responsable de type britannique dans lequel le chef du parti qui fait élire le plus de députés est invité par le souverain à diriger le pays et à nommer les ministres de son cabinet.

À preuve, dans son discours à l'assemblée des Six Comtés, Papineau parle d'un «système responsable» pour la république américaine, laquelle n'a jamais appliqué le concept britannique de gouvernement responsable. Dans le discours de Jacques Parizeau, qui met justement l'accent sur le respect du modèle britannique, le gouvernement responsable semble bel et bien compris comme un concept clé de son parlementarisme, système dont le premier ministre ne voudrait d'ailleurs pas se défaire après la naissance éventuelle d'une république québécoise.

PHOTO LA PRESSE

Papineau - Erreur sur la personne, publié chez Boréal.

Papineau ne buvait pourtant pas de cette eau anglaise. Comme nous l'avons écrit ailleurs, «pour le républicain Papineau, la responsabilité politique ne viendra pas d'abord de la formule britannique du gouvernement responsable, mais du respect de la souveraineté populaire déléguée dans et à la Chambre d'assemblée et déléguée dans et à un Conseil législatif élu. Alors le gouverneur devrait tenir compte du poids populaire des deux Chambres et du coup, ces trois instances seraient responsables». La convocation de Papineau tient donc du travestissement. Le chef patriote cherchait une sortie vers le républicanisme américain; selon Jacques Parizeau, il a voulu maintenir les liens avec l'empire. Papineau était un républicain; Parizeau le considère comme un tenant précoce de la souveraineté-association. Il y a erreur sur la personne. Papineau n'a pas souhaité le gouvernement responsable à la britannique. Cette méprise est-elle importante ou n'est-elle qu'une erreur d'appréciation de la part d'un homme politique traçant à grands traits l'histoire de son pays?

Chose certaine, cette erreur historique est encore largement répandue: on l'enseigne, on la commémore, on l'écrit. Des historiens, des hommes politiques et des commentateurs de la vie politique québécoise la relaient. Peu importe leur allégeance, d'ailleurs.

D'un côté, des fédéralistes croient que les revendications de Papineau - qu'ils réduisent à l'exigence d'un gouvernement responsable - ont trouvé leur réponse dans la conciliation et la collaboration de Louis-Hippolyte LaFontaine, dont la victoire est justement l'obtention du gouvernement responsable, de manière définitive, en 1848. À quoi bon les gestes de violence et de rupture? La voie pacifique, qui trouve son aboutissement dans un pacte confédératif, permet d'obtenir ce que la révolte n'a jamais pu donner.

De l'autre côté, des souverainistes, soucieux de ne pas réveiller les épouvantails de la violence, laissent entendre que Papineau tenait aux liens avec l'Angleterre. Convoquer de nouveau l'idée du gouvernement responsable permet de «pacifier» son image, d'en faire un homme plus près de ces nouveaux héros du XXIe siècle que sont les réformistes du milieu du XIXe siècle. On obtient le respect par à-coups: voilà le message des réformistes (qui ont gagné la reconnaissance de la langue française à l'Assemblée, voté l'amnistie des patriotes en exil, permis le dédommagement controversé des victimes des Rébellions et obtenu le gouvernement responsable) qui permet de mieux comprendre ce qui sous-tend la «gouvernance souverainiste» de Pauline Marois.

On le voit bien: l'erreur historique n'a rien d'anodin et a une portée extraordinaire. Il est nécessaire de corriger le tir.