Les élections américaines se déroulent sur un fond de crise économique, sociale et politique sans précédent.

La croissance et l'emploi stagnent, 15% de la population vit sous le seuil de la pauvreté, les gouvernements et les consommateurs sont surendettés, la classe moyenne s'appauvrit, le système de santé et l'éducation sont coûteux et inefficaces, les inégalités de revenus atteignent des niveaux sans précédent depuis le New Deal, et la population carcérale la plus nombreuse de la planète (plus de 2 millions) gruge les budgets des États.

En plus d'une concurrence internationale de plus en plus effrénée, les États-Unis doivent aussi faire face au déclin structurel de l'Europe, au ralentissement d'un grand nombre de pays émergents et à un prix du pétrole gonflé à bloc par de multiples dérapages au Moyen-Orient.

Le système politique américain n'est pas à la hauteur des défis. L'obstruction systématique et le refus de collaborer entre les démocrates et les républicains, mais aussi une dynamique institutionnelle et constitutionnelle implacable conduisent inévitablement à l'immobilisme. L'influence prépondérante du financement électoral et des lobbys - sans équivalent en Occident - sape le bon fonctionnement de la démocratie américaine.

La polarisation et la partisanerie exacerbées qui se manifestent dans la campagne ne sont pas simplement électorales, mais aussi sociales et politiques. Deux visions diamétralement opposées s'affrontent.

Pourtant, ni le programme de la croissance par l'austérité de Mitt Romney, ni les investissements principalement conjoncturels de Barack Obama n'apporteront des solutions durables aux défis de la société américaine.

D'un côté, M. Obama défend le rôle de l'État dans la réduction des inégalités, la protection des plus démunis et l'accès universel à la santé. Le concept de fairness (équité) est central dans son message électoral. Il préconise également une augmentation d'impôts pour les plus fortunés, et des coupes dans la défense.

Néanmoins, lors de son discours à la convention démocrate, M. Obama a finalement reconnu que les problèmes socioéconomiques structurels auxquels font face les États-Unis ne peuvent être réglés à court terme, et qu'il fallait freiner le dérapage du système d'éducation, relancer la R&D et l'innovation et moderniser les infrastructures. La marge de manoeuvre de M. Obama pourrait cependant être fort mince, notamment à cause du «précipice fiscal» de décembre 2012,et du refus des républicains d'appuyer toute hausse des impôts.

Quant à M. Romney, il préconise des solutions simplistes et rapides. Il est convaincu que le big government - notamment les contraintes réglementaires, des impôts trop élevés et le climat d'incertitude créé par le gouvernement Obama - empêche le secteur privé d'investir et mine la croissance économique. Il s'engage à réduire les impôts et le déficit, tout en augmentant le budget de la défense pour remettre en place une politique étrangère agressive et autodestructrice. Tout le génie du Parti républicain et du Tea Party aura été de convaincre une grande partie de l'électorat que le gouvernement et les liberals sont la source de tous leurs maux.

La croissance par l'austérité est vouée à l'échec. Les coupes draconiennes et inévitables dans les programmes sociaux provoqueront un ralentissement économique, sinon une récession. En créant des attentes démesurées et irréalistes auprès d'un électorat déjà impatient et en colère, et en s'attaquant de front aux plus démunis, M. Romney risque - en plus d'un échec aux élections de mi-mandat de 2014 - de provoquer un ressac qui pourrait dégénérer en crise sociale.

À long terme, les États-Unis bénéficieront d'avantages considérables par rapport à la plupart des pays de la planète: l'indépendance énergétique, une relative abondance de ressources - notamment de terres arables et d'eau -, un taux d'immigration élevé, une démographie favorable, et une marge de manoeuvre fiscale considérable (l'absence d'une taxe à la consommation, par exemple) pour combattre l'endettement.

À la veille de l'élection présidentielle, cependant, on s'éloigne dangereusement de l'esprit du New Deal et d'un nouveau contrat social qui permettraient d'assurer pendant les prochaines années une transition socioéconomique difficile, mais critique pour l'avenir des États-Unis.