Je viens de travailler pendant neuf mois avec Médecins sans frontières en République démocratique du Congo. Notre projet se situait au Nord-Kivu, à quelques kilomètres de la frontière du Rwanda. Là-bas, les conflits se perpétuent et ressurgissent sporadiquement. La population vit dans l'incertitude et la peur. Toute cette instabilité fait que les structures médicales et sociales sont peu développées et ont peu de moyens.

La ville de Kitchanga compte deux camps de déplacés (des gens qui ont tout perdu et ont dû fuir leur village à cause des conflits). MSF fournit des soins primaires dans deux postes de santé, un centre de traitement du choléra, une unité ambulatoire de nutrition thérapeutique et une clinique qui offre des programmes contre la violence sexuelle, la planification familiale, des soins pré et postnataux.

En tant qu'infirmière, mon rôle est d'organiser et de superviser les soins. Je m'occupe aussi de donner des formations pour garantir la qualité des soins. À Kitchanga, la médecine ne dispose pas de tous les moyens que nous connaissons et considérons comme indispensables: pas de radiologie, pas de médecine nucléaire, pas d'échographie, pas d'oxygène, pas de défibrillateur.

L'examen clinique et l'historique médical du patient sont nos seuls outils diagnostiques. La ville, qui compte une population d'environ 100 000 personnes, ne dispose que de quatre médecins généralistes pour deux hôpitaux. Les infirmiers ont donc un rôle prépondérant: c'est à eux qu'incombe de faire toutes les consultations, les diagnostics en santé primaire, les prescriptions, les traitements et les suivis. Seuls les cas avec complications sont pris en charge par un médecin.

J'ai travaillé avec une équipe nationale expérimentée. Comme la profession compte très peu de femmes, notre personnel infirmier se composait surtout d'hommes, sauf pour la maternité et la clinique traitant les cas de violence sexuelle. Les pathologies rencontrées étaient assez similaires à ce que nous connaissons: infections respiratoires, infections transmises sexuellement, diarrhées, mais nous observions aussi les ravages causés par le paludisme et la malnutrition.

Au Québec, les gens meurent d'avoir mangé trop de sucre, de sel ou d'aliments gras. À Kitchanga, des enfants meurent de n'avoir rien à manger. Chaque semaine, nous traitions une centaine d'enfants malnutris à notre clinique de nutrition. La malnutrition engendre beaucoup d'autres problèmes: de nombreux enfants souffrent de verminose, de gale, de teigne, d'escarres cutanées et sont aussi plus susceptibles de développer d'autres maladies.

J'ai été très touchée quand j'ai vu toutes ces mamans qui marchent pendant des heures, parfois des jours, pour venir faire soigner leur enfant. Souvent, elles ont aussi avec elles deux ou trois autres jeunes enfants. Et elles doivent se présenter à la clinique toutes les semaines durant plus d'un mois.

Pendant quelques semaines, j'ai vu à l'hôpital le petit Migisha, âgé de trois ans. C'est un enfant malnutri qu'on nous avait amené avec des oedèmes sévères et un noma. Le noma est une gangrène du visage qui commence à l'intérieur de la bouche et finit par perforer la peau. Les enfants atteints restent souvent défigurés. Heureusement, Migisha a juste une petite perforation à la joue. Dès que l'infection a été complètement guérie, on a pu l'opérer. Je me suis attachée à cet enfant. Même si sa mère ne comprend pas le français, juste son sourire me réchauffait le coeur.

Pourquoi venir travailler en Afrique à l'heure de la retraite? Non, ce n'est pas juste de la générosité. C'est le besoin de donner un sens à sa vie. C'est le besoin de réaliser quelque chose pour la société.

Au Congo, la profession d'infirmière prend tout son sens. Les responsabilités sont grandes, les heures sont longues, les défis paraissent parfois insurmontables, mais chaque personne soulagée est une petite victoire.

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