Dire qu'il y a glissement, pour ne pas dire dérapage sérieux tient dorénavant de l'euphémisme. En effet, le «bruit» ambiant des médias sociaux pris d'assaut par des gens dont le sens de la mesure et du jugement laisse sérieusement à désirer, s'est récemment amplifié de manière alarmante.

Parfois haineux, parfois grossier, souvent exagéré - pour ne pas dire carrément exalté -, le ton de ces «messages» vise l'effet, l'éclat de verre, l'éclisse qui blesse, la balle qui tue.

Cette surenchère qui ne témoigne pourtant pas de l'opinion ambiante, en fait pourtant désormais partie. Elle la teinte, elle la tire du côté de ses excès, elle semble même prétendre nous en signaler les tendances. Plus préoccupant: amenées à l'avant-scène de notre conscience collective par certains médias à large diffusion, fussent-ils complaisants ou révoltés, voilà ces enflures maintenant validées dans leur existence et ainsi tenues en compte, pour le poids de leurs prétendues opinions. Or, rien n'est plus faux, ni plus dangereux.

À force de les relayer, de nous exclamer et de nous offusquer de leurs écarts et de leurs âneries, nous contribuons nécessairement et malgré nous, à donner à ce phénomène inflammatoire une durée de vie bien au-delà de sa destinée poubelle.

La tyrannie est double. Elle s'exerce en tout premier lieu, et à leur insu, sur ses auteurs, ces courageux anonymes. Perdus dans la masse invisible du cyberespace, ils n'ont, pour se démarquer - à défaut d'une pensée structurée -, que l'hyperbole, la démesure, le venin, et tiens, pourquoi pas la strychnine! Ils jouent de la nuance comme d'un AK-47, fauchant sur leur passage tout espoir de répartie, de dialogue, d'échange, ai-je dit d'écoute? Ils sont résolument perdus, tels des naufragés hurlant sur une mer démontée, au beau milieu de leur éphémère souillure. Premières victimes, donc, parce qu'ils creusent le sillon de leur solitude et de leur bêtise.

Les dommages collatéraux, plus graves, c'est le public qui en écope, pris en otage par ce tonnerre injurieux. Qu'on se bouche les oreilles, l'ulcération se répand pourtant dans le paysage, telle une bactérie, banalisant de facto ses outrances en les intégrant, mine de rien, au ronron quotidien. La «tweetosphère est enflammée!» peut-on entendre à l'occasion, comme si le phénomène était digne de mention. Eh bien, laissons-la s'exciter celle-là, en se rappelant que les usagers raisonnables qui la fréquentent - les plus nombreux - ont appris depuis longtemps à situer ces navrants excès dans la marge et à faire peu de cas de cette fange vireuse.

Parlant propagation, les débordements injurieux observés récemment à l'Assemblée nationale pourraient-ils être un symptôme de cette inflammation? Car nous constatons que pour faire mouche désormais en haut lieu, ce ne sont plus ni la finesse, ni l'intelligence, ni la force des idées que l'on met de l'avant, mais bien l'arsenal des bourreaux. Il faut décapiter, démembrer, jeter les morceaux aux chacals.

Tout le monde s'offusque, à juste titre, d'un tel bain de sang, mais qu'avons-nous à proposer?

Peut-être de la retenue, pour commencer, de la réserve, et puis de manière plus décisive, choisir une fois pour toutes d'abandonner ce voyeurisme - parce qu'il me semble que c'est un peu de cela aussi qu'il s'agit - en le remplaçant par la promotion obsessive - il n'y en aura jamais trop! - du contenu, de l'analyse et surtout de l'ouverture d'esprit.

Affamer ces accros aux claviers affolés, leur rafler leurs 15 secondes de gloire sur la place publique en ne les citant plus et, en lieu et place, utiliser tout ce temps d'antenne et toute cette encre pour promouvoir ad nauseam (je me répète!) des valeurs pourtant parties intégrantes de notre identité québécoise, j'entends la politesse, la curiosité aux autres, la fierté, la tolérance et le partage. Je vous entends soupirer - comme moi d'ailleurs! - que ces suggestions font un tantinet fleur bleue.

Eh bien tant pis!

Nous sommes à l'heure du remède de cheval, un jab d'épipen urgent dans notre coeur social car, avec notre course cul-de-sac à l'individualisme et à la commercialisation servile, à défaut de nous éloigner au grand galop de tout ce pitoyable «bitchage» aux allures de la téléréalité, nous risquons collectivement d'en devenir une, insignifiante - mais tonitruante! - téléréalité...