J'ai été étonné de lire votre plaidoyer en faveur d'une abstention volontaire, pour ne pas dire une abstinence réfléchie, dans le cadre du scrutin du 4 septembre.

À titre de maire de la sixième ville du Québec, qui s'est investi dans une campagne électorale exigeante, je suis scandalisé de constater qu'il y a des intellectuels comme vous qui propagent des idées aussi rétrogrades de l'exercice de la démocratie. Je devine que vous en avez consacré, des heures, à faire du porte-à-porte et à vous préparer à des débats pour faire valoir aux citoyens l'importance d'aller voter!

Aller voter... est-ce un droit? Certainement. Un droit que nous devons à ceux qui ont combattu (donc qui, à une certaine époque, ont choisi de ne pas s'abstenir) pour que nous puissions aujourd'hui choisir les personnes qui formeront le prochain gouvernement. Un devoir? Nonobstant le contenu des propositions des candidats et candidates (un nombre record en passant), évidemment que nous devrions en faire un devoir, contrairement à ce que vous dites.

Je dirais même que c'est un privilège, non seulement dans l'acte de voter, mais également dans la façon dont mon vote sera traité par le personnel qui gère le processus électoral. Je vous invite à lire les pages internationales de La Presse pour vous en convaincre.

Je ne sais trop quel est l'objectif que vous poursuivez, mais en valorisant un comportement mû par l'indifférence comme vous le faites - «Il n'y a pas de mal à rester chez vous et à vous abstenir!» [...] «estimant que leur vote a peu de chance d'influer sur le résultat des élections», vous encouragez la non-responsabilité citoyenne. On devine que si tous les citoyens d'Égypte, de la Libye ou de la Syrie s'étaient inspirés de votre réflexion, on nagerait (encore) en pleine démocratie dans cette partie du monde. L'abstention n'est-elle pas la rançon de la dictature?

Votre rigueur de professeur d'université (que j'étais avant de devenir maire de Sherbrooke en novembre 2009) me laisse perplexe. Vous pouvez vous draper dans la nécessité d'exercer votre sens critique ou de vouloir susciter le débat, mais force est de reconnaître que votre sens des responsabilités vous fait cruellement défaut (après tout, ce sont probablement les contribuables qui s'abstiennent d'aller voter qui défraient vos émoluments de professeur à l'ENAP).

D'ailleurs, votre exemple qui consiste à faire un parallèle entre le fait d'acheter une maison et accorder son vote (ou sa confiance) à un parti ou à un candidat en est malheureusement une douteuse démonstration. Dans votre raisonnement, vous résumez l'engagement politique des hommes et des femmes au seul besoin de générer du blé (0,85¢ par électeur) et de se légitimer, comme si le désir d'améliorer les choses n'était que pure chimère!

Avec des taux de participation anémiques de 49,5% à Sherbrooke aux élections municipales (taux qui franchit difficilement les 30% à Montréal), quand vous dites que «le silence d'une partie significative de l'électorat est un acte politique non négligeable», vous prêchez un recul de l'exercice de la démocratie qui me heurte profondément.

À tout prendre, je préfère encore voir l'électeur se rendre à l'urne et annuler son vote plutôt que de le voir plonger dans une mer d'indifférence comme vous le proposez.