Qu'ils sont inspirants, ces gens aux grands idéaux qui semblent vivre dans un monde où la force de leurs convictions sera éventuellement proportionnelle à leur application dans la réalité! Mais après la séduction première, une pointe de dépit s'immisce dans l'esprit: «Si c'était si simple!» J'ai récemment ressenti cela en discutant avec un ami qui vantait les vertus de l'abstentionnisme en cette période électorale.

Cet ami se disait révolté du système parlementaire québécois actuel, et souhaitait, par son abstention, manifester son indignation et faire entendre que non seulement aucun parti n'a son appui, mais même qu'il abhorre le régime politique du Québec dans son ensemble. En somme, il refuse de légitimer, par son vote, les actions du gouvernement au pouvoir comme celles de l'opposition. «La démocratie, ce n'est pas choisir son maître!»

Bien sûr, le régime parlementaire est loin d'être parfait. Bien sûr, on peut vouloir manifester son désaccord. Mais le but ultime de crier sa déception du régime actuel, c'est de l'améliorer, non? Ou au moins d'améliorer la société, le bien-être, diminuer le cynisme? Si les baguettes magiques existaient, ces grands élans vertueux visant à rendre les politiciens sensibles à la contrariété de plusieurs et ainsi influencer leur comportement seraient encore plus louables qu'ils ne le sont déjà (oui, oui, ils ont tout de même une part de noblesse!)

Malheureusement, je n'ai jamais vu un chef de gouvernement s'empêcher d'agir parce que le taux de participation des dernières élections était famélique. Ou encore un chef d'opposition arguer que le gouvernement ne peut prendre telle ou telle décision parce que seuls 46% des électeurs avaient profité de leur droit de vote.

Dans la réalité, les baguettes magiques, elles n'existent pas. Mais les grands idéaux ont tout de même leur place dans le réel! Ils ont seulement un peu plus de misère à s'imposer, et sont généralement contraints de se limiter à une application partielle, du moins à court terme.

Mais pour cela, disons une victoire «partielle» plutôt qu'une défaite totale, il faut accepter de jouer le jeu et d'utiliser le système en place pour faire avancer sa cause, quitte à renier partiellement ses principes, si on veut faire des gains!

Les militants ayant renoncé à faire du bruit durant la campagne pour ne pas alimenter le feu de Jean Charest l'ont compris, et ils sont (un peu) grâce à cela en train de gagner une importante bataille: mettre Charest dehors!

Ainsi, les abstentionnistes qui exècrent le système politique actuel et ne souhaitent pas légitimer un quelconque gouvernement devraient renoncer à l'idée de faire tomber le parlementarisme (soyons réalistes, le parlementarisme aura heureusement toujours cours au Québec, avec ses forces et ses tares) et accepter de participer à ce système pour éventuellement l'améliorer. Concrètement, il serait judicieux de voter pour le parti qu'on croit le plus susceptible de mener le Québec dans la bonne direction, même si plusieurs de ses positions nous déplaisent (il est quasi impossible, de toute manière, d'appuyer la totalité des vues d'un parti). On s'approche ainsi, pas à pas, d'un but ultime.

Bref, pour reprendre une savante expression entendue récemment: «Mieux veux gagner à 75% que perdre à 100%.»