C'est une chancelière allemande plutôt fragilisée qui vient en visite officielle au Canada aujourd'hui et demain.

Cette visite d'Angela Merkel, il faut d'abord se réjouir qu'elle ait lieu. Vis-à-vis de l'Allemagne, le Canada n'a jamais fait beaucoup plus qu'assurer le service minimum. Pour des raisons historiques évidentes, il a toujours, en Europe, privilégié ses relations avec la France et le Royaume-Uni. La relation bilatérale avec l'Allemagne est restée largement sous-développée. Or ce pays est devenu un acteur essentiel et incontournable. On sera à même d'en juger dans la dernière ligne droite qui doit conduire à la signature d'un accord ambitieux avec l'Union européenne.

Avec ses 80 millions d'habitants, un PIB de 3700 milliards d'euros, un taux de chômage à 5,6%, un déficit budgétaire d'environ 1% et un excédent commercial qui avoisine le milliard d'euros, l'Allemagne est le seul vrai poids lourd au sein de l'Union européenne et un des meilleurs, sinon le meilleur, élève au sein de la zone euro. Pour autant, rien n'est acquis et la chancelière Angela Merkel reste confrontée à des problèmes multiples et variés.

Au plan national, sa popularité personnelle est presque intacte, mais son parti, la CDU, encaisse défaite après défaite à toutes les élections locales depuis des années. Elle paie là le prix politique de réformes économiques souvent brutales. Sa marge de manoeuvre est aussi relativement limitée, car elle est prisonnière d'un système politique allemand qui donne au Parlement des pouvoirs considérables. Or, s'il elle a toujours la majorité au Bundestag, elle l'a perdue, depuis deux ans, au Bundesrat.

Au plan européen, le défi permanent de Mme Merkel est de gérer le ressentiment que génèrent les performances économiques de l'Allemagne et l'hostilité qu'inspire à ses partenaires toute idée d'un leadership politique allemand. Pour ses voisins, l'Allemagne est le pays qui a le plus profité de la création de l'euro et qui a réussi à abaisser ses coûts de production en créant une sorte de sous-prolétariat en Allemagne et en délocalisant vers les pays limitrophes d'Europe centrale un certain nombre d'activités industrielles tout en maintenant le label de qualité du «made in Germany» en rapatriant en Allemagne les phases finales de production.

L'Allemagne, c'est aussi le pays qui veut aujourd'hui imposer aux autres les réformes qu'il s'est imposées à lui-même, sans se soucier des situations radicalement différentes qui prévalent ailleurs en Europe. L'Allemagne, c'est enfin le pays qui veut dicter aux autres Européens une intégration budgétaire et fiscale, voire une intégration politique, toujours plus poussée.

Dans la poursuite de ses objectifs européens, l'Allemagne a toujours voulu et su mettre à profit l'axe franco-allemand. Sans doute parce qu'il n'était pas convaincu de la possibilité d'imposer une stratégie alternative, Nicolas Sarkozy s'est souvent rallié aux choix de l'Allemagne, notamment dans la gestion de la crise économique et financière. En retour, Mme Merkel le laissait s'arroger toujours une grande part du crédit.

Avec l'élection de François Hollande, la dynamique a changé. Le nouveau président français veut sortir du couple franco-allemand, élargir la concertation à des pays comme l'Italie et l'Espagne et amener l'Allemagne à compléter son programme d'austérité, de rigueur et de discipline budgétaire par un programme de croissance et de solidarité. Cette démarche trouve évidemment un écho favorable dans les pays du sud et Mme Merkel se voit contrainte d'en tenir compte.

Le vrai problème pour Mme Merkel, cependant, c'est que la validité de ses choix initiaux reste à démontrer. Que ce soit sur le rôle de la Banque centrale européenne ou sur les programmes d'austérité pour tous, il n'est pas dit que le maintien l'orthodoxie allemande aura à terme l'impact recherché. De plus en plus de voix s'élèvent pour dénoncer des prescriptions jugées plus aptes à tuer le malade qu'à le soigner.

Quant à l'espoir de l'Allemagne d'utiliser la crise actuelle pour faire franchir à l'Europe une nouvelle étape sur le chemin de l'intégration, il n'est pas dit que cela s'avérera possible. C'est un pari audacieux, un pari nécessaire, mais un pari tout de même.