La semaine dernière, la Société Radio-Canada a diffusé un reportage où on fait état d'une opération policière qui aurait pris fin après que le sujet en filature se soit rendu dans un événement public auquel prenait part le premier ministre Jean Charest. Comme de nombreuses autres personnes, j'ai ressenti un profond malaise, un euphémisme s'il en est, en visionnant ce reportage, qui est construit exprès (son et images) pour laisser croire qu'une intervention politique aurait mis fin à une filature de la police.

Passons sur le fait que la personne en cause ignorait certainement qu'elle était suivie par la police, et qu'elle ne pouvait donc pas demander qu'on fasse cesser une activité dont elle ignorait sans doute l'existence même, et faisons quelques rappels.

Il faut que la population sache que, quel que soit le parti politique à la tête du gouvernement, aucun ministre, ni non plus le premier ministre, ne serait en mesure de répondre à la question: qui a ordonné la fin d'une filature, et pourquoi?

La pratique de la démocratie au Québec est l'une des plus exemplaires au monde, et comporte évidemment deux ensembles de caractéristiques.

D'abord, et avant tout, des institutions solides: le pouvoir législatif constitué par les élus, le pouvoir exécutif qui rassemble les membres du conseil des ministres, et le pouvoir judiciaire, qui comprend évidemment les forces policières, les procureurs du ministère public et la magistrature. Ces institutions complémentaires agissent en toute indépendance, et c'est ce qui distingue une démocratie d'une dictature. On ne peut pas s'attaquer aussi crûment à nos institutions, comme le fait Enquête, sans preuves solides. D'ailleurs et heureusement, depuis sa diffusion, plusieurs journalistes ont manifesté leur malaise face à celui-ci.

Ensuite, la pratique quotidienne de la démocratie dans une société ouverte comme la nôtre fait en sorte que tout le monde peut participer aux débats, aller et venir comme bon leur semble, et approcher les élus de tous les ordres de gouvernement dans toutes sortes de circonstances.

Le corollaire de cet énoncé est que n'importe qui peut également circuler librement, de telle sorte que de parfaits inconnus, des gens bien connus et même d'autres trop connus ont la liberté d'approcher les élus et même d'échanger des propos avec eux dans des circonstances aussi nombreuses que variées: c'est là selon moi un des grands atouts de notre système politique, qui ne doit être encadré que pour des raisons de sécurité physique aussi précises que limitées. Nos femmes et hommes politiques sont d'une accessibilité extraordinaire, et il est effarant qu'on s'en étonne, et surtout qu'on les en blâme! C'est le contraire qui serait surprenant et désolant!

Ce qui est le plus inquiétant dans cet épisode, c'est la pratique de plus en plus courante de l'utilisation des sources anonymes dans le journalisme d'enquête. Les journalistes ont tout le loisir d'utiliser ce type de sources, mais le public doit savoir que leur crédibilité est sérieusement sujette à caution, car les intérêts qui les motivent sont impossibles à vérifier.

Il est regrettable, et même condamnable, qu'on s'attaque ainsi à l'intégrité des gouvernants à partir de bruits et chuchotements émanant de «témoins» sans noms et sans visages: Radio-Canada nous avait habitués à mieux que cela.