Soyons réalistes: tout mouvement social, même s'il revendique la meilleure vertu, est forcé de la jouer «stratégique» s'il veut réaliser des gains concrets. Le mouvement étudiant semble l'avoir compris, mais je crains que ce ne soit dans le mauvais sens.

En effet, force est d'admettre que les libéraux ne sont pas les seuls à avoir instrumentalisé le conflit étudiant. Les mouvements les plus extrémistes (vous savez, ces gens qui regrettent le communisme, promeuvent l'anarchisme et exècrent tout ce qui s'apparente à un ordre social) se sont réveillés et ont profité de l'occasion pour exprimer violemment leur mépris de la société en s'armant de pierres, de cocktails Molotov et de slogans violents. Malheureusement, si ces derniers ne sont nullement représentatifs du mouvement social printanier dans son ensemble, les médias ont fait leurs choux gras de leurs actions et la cause étudiante s'en trouve maintenant entachée, associée au «chaos de la rue».

Bien sûr, la cause étudiante est noble, et encore plus l'ensemble du mouvement qui s'est mis en branle en défendant les enjeux de la justice sociale et de l'éthique. Mais si ses militants souhaitent réaliser de véritables gains, du point de vue plus large de l'environnement social québécois, ils feraient bien de ne pas fournir de carburant à un Jean Charest qui doit rêver secrètement de voir d'autres anarchistes et membres de groupes obscurs provoquer du désordre, pour ensuite arguer qu'il faut leur tenir tête pour ne pas tomber dans le désordre révolutionnaire. De tout temps, l'argument de la peur fut probablement le plus efficace en termes de rhétorique.

En somme, le «vrai» mouvement étudiant, celui que défendent la majorité des militants, a toutes les raisons de continuer la mobilisation lors de la campagne en défendant de nobles causes. Mais s'il souhaite se défaire de son étiquette de mouvement extrémiste, il devrait sérieusement envisager une trêve électorale. En effet, en se montrant le plus calme possible, il couperait carrément l'herbe sous les pieds des libéraux. Ceci pourrait être amplement suffisant pour gagner la bataille la plus importante: mettre les libéraux dehors.

Cela ne signifie pas que les élèves et étudiants ne doivent rien faire d'ici au 4 septembre. Si toute manifestation risque d'être détournée par des agents perturbateurs qui feront la joie des libéraux, les actions visant à inciter les jeunes et moins jeunes à s'informer et à aller voter sont particulièrement louables. Le fait d'organiser des débats, d'inviter des candidats dans les cégeps et universités, d'informer les jeunes sur les programmes, les enjeux, les façons de participer aux élections, etc. devient une merveilleuse façon de conscientiser les électeurs sans nuire à sa propre cause.

Si l'ensemble des mouvements du printemps érable souhaite gagner du terrain, il devra dénoncer l'inévitable violence d'une minuscule minorité et se montrer aussi modéré que posé. Tout cela, ce n'est pas renoncer à ses principes, ce n'est pas se laisser bâillonner ou abandonner la bataille. C'est savoir se battre intelligemment, en gardant un seul objectif en tête: le bien-être de la société.