Après avoir conclu, avec quatre collègues démocrates, à la constitutionnalité de la réforme de santé du président Obama, le juge en chef de la Cour suprême, le conservateur John Roberts, s'est vu affublé de toutes les épithètes, «traître,» «lâche,», et même «vendu» par les commentateurs de droite. Le magnat de l'immobilier Donald Trump, avec son charme coutumier, a estimé approprié de qualifier de «crétin» cet homme brillant et érudit.

La colère furibonde soulevée par ce jugement de la Cour suprême relève désormais de la routine dans le débat public aux États-Unis; c'est un mal propre au bipartisme. C'est peut-être à gauche que tout a commencé - en réponse à Richard Nixon, Ronald Reagan et George W. Bush - mais c'est de plus en plus un phénomène récurrent à droite. Les personnalités de la radio comme Rush Limbaugh et Glenn Beck (qui vient de conclure un contrat de 100 millions de dollars pour cracher un peu plus de haine sur les ondes) ont un auditoire beaucoup plus important que leurs concurrents libéraux. L'ère de l'information et de la communication a cédé la place à une ère de colère.

Les Américains sont furieux depuis quelque temps et leur ire ne montre aucun signe d'essoufflement. Ce sentiment est peut-être le plus évident - et le plus dommageable - en matière de politique étrangère, où les choix qui s'offrent aux dirigeants sont rarement évidents ou sans risques. Par exemple, le conflit sanglant en Syrie est lourd de défis et de conséquences imprévisibles. Mais de telles réalités échappent aux blogueurs qui s'accrochent allègrement à ce que, manifestement, ils considèrent être des solutions évidentes et s'en prennent à la stupidité, au cynisme ou à la folie des dirigeants qui ne les appliquent pas.

L'accès instantané à l'information ne signifie pas l'accès instantané à la connaissance, encore moins à la sagesse. L'un des aspects de la connaissance, que nous tenons de la philosophie du XIXe siècle (mais qui s'y intéresse encore de nos jours?), évoque l'intégration de l'information avec l'expérience. Aujourd'hui, l'information n'est qu'émotion - et aussi suspicion, et parfois paranoïa, lorsqu'il s'agit des motivations des classes dirigeantes.

La technologie semble jouer un rôle central dans la montée de cette colère. Créer un blogue, télécharger des photographies et créer des titres accrocheurs, pleins de sarcasme, n'est pas une activité particulièrement difficile. Les médias grand public (quoi que signifie cette expression aujourd'hui) courtisent leur public en lui permettant de s'exprimer simplement en appuyant sur un bouton. Comme quiconque a lu un article sérieux peut en attester: s'ensuivent généralement des réactions injurieuses et amères. Tous ces gens malheureux ont-ils toujours été là, simplement dans l'attente d'un bouton qui leur permettrait d'enregistrer leurs avis?

L'un des problèmes fondamentaux semble être la dégradation du respect pour les institutions établies, dont un grand nombre sont noyées par le brouhaha de l'opinion. À une certaine époque, l'éditorial d'un journal local avait du poids. Aujourd'hui, ce n'est qu'un point de vue parmi tant d'autres (pire, il repose sur une plateforme dont le modèle économique est en difficulté).

L'ère de la colère ne prendra fin que lorsque les Américains auront décidé qu'ils en ont assez. Pour commencer, ils pourraient prendre une résolution estivale pour inverser cette tendance. Ils pourraient, par exemple, résister à l'algorithme internet qui leur suggère quel livre acheter ou quel film louer sur la base de ce qu'ils ont lu ou regardé précédemment. Et ils pourraient commencer à réapprendre le très utile art démocratique du débat respectueux avec ceux qui partagent des opinions différentes des leurs.

© Project Syndicate 2012