L'appel à la nation québécoise lancé mardi matin par le député indépendant Pierre Curzi rejoint les attentes de beaucoup de citoyens québécois. Les milliers des personnes qui manifestent avec les étudiants et frappent sur leurs casseroles tous les soirs voteront probablement pour un des partis du front commun qu'il propose.

Les gens qui s'y rassemblent ont pour point commun un rejet du néolibéralisme à outrance du Parti libéral du Québec, de sa corruption et de ses dérives autoritaires. Ces rassemblements non partisans devraient inspirer les partis de gauche à s'unir plutôt qu'à diviser ce grand mouvement.

L'initiative de M. Curzi n'est pas un geste isolé. Le député péquiste Bernard Drainville avait évoqué l'idée d'une coalition en janvier dernier. Les statuts du parti Option nationale, fondé par l'ex-péquiste Jean-Martin Aussant, prévoient une ouverture permanente à la collaboration ou la fusion avec d'autres formations politiques partageant des objectifs jugés suffisamment similaires. Le Nouveau Mouvement pour le Québec (NMQ) est un mouvement citoyen dont un des objectifs principaux est le regroupement des forces souverainistes du Québec. Et le hashtag #unit3 sur Twitter est un espace de discussion de plus en plus achalandé où des citoyens partagent leurs espoirs de voir les partis sociaux-démocrates s'unir pour empêcher la droite de remporter les prochaines élections provinciales.

La fin de non-recevoir donnée sur-le-champ par Pauline Marois à l'idée d'une coalition et la lettre écrite par Amir Khadir en réponse à l'appel de M. Curzi déçoivent plusieurs Québécois qui espéraient que l'objectif d'empêcher à tout prix le PLQ d'être réélu et de continuer son saccage du modèle québécois hérité de la Révolution tranquille primerait sur les intérêts électoralistes des différents partis.

Un tweet de Stéphane Gobeil, conseiller au cabinet de Pauline Marois, a été pour moi la goutte qui a fait déborder le vase: «C'est clair maintenant. Pour QS, battre le PLQ c'est secondaire. Battre Nicolas Girard dans Gouin c'est prioritaire.» La démocratie au Québec vit ses jours les plus sombres depuis l'ère Duplessis et les partis de gauche s'entêtent à faire de la petite politique. Honteux.

La gestion de la grève étudiante par le gouvernement Charest et en particulier la loi spéciale votée avec l'appui des députés de la CAQ ont créé une crise sociale sans précédent au Québec. Cette situation exceptionnelle requiert des actions exceptionnelles et un front commun des forces de gauche en serait une tout à fait pertinente dans les circonstances.

Sondage après sondage, la stagnation du PQ demeure constante malgré un taux d'insatisfaction record envers le gouvernement Charest. Quant à Québec solidaire, le mieux qu'il peut espérer est de détenir la balance du pouvoir dans un gouvernement péquiste minoritaire. Son refus d'une coalition avec le PQ est un jeu dangereux.

Il est tout à fait compréhensible que Mme Marois, après des mois à se faire apostropher tous les jours à l'Assemblée nationale sur le fait qu'elle porte le carré rouge, veuille pouvoir récolter les fruits de cet «investissement» aux prochaines élections.

Même chose pour Amir Khadir, qui voudra capitaliser au bénéfice de son parti sur les dizaines de kilomètres qu'il a marché soir après soir avec les étudiants depuis des semaines, allant jusqu'à se faire arrêter avec eux.

Toutefois, en demeurant divisés, les partis progressistes ouvrent la voie à une réélection du PLQ, qui, même s'il est minoritaire, sera en mesure, avec l'appui de la CAQ, de continuer le virage à droite du Québec vers une société toujours plus axée sur le principe d'utilisateur-payeur.

De quoi aura l'air le Québec après encore des années de gouvernements provincial et fédéral conservateurs? Le danger est bien trop grand pour laisser l'orgueil des chefs de parti nous faire courir ce risque.

Mme Marois, M. Khadir, soyez magnanimes, la situation l'exige.