Nous savions depuis le dépôt du budget Flaherty à la fin mars, et donc dans le cadre du projet de loi C-38, que le gouvernement conservateur avait l'intention d'abroger l'article 27 de la loi de l'assurance-emploi ayant trait à la définition de l'emploi non convenable.

Ce faisant, il bouleversait tout ce qui encadre et définit la relation de droits et d'obligations entre le prestataire d'assurance-emploi et la Commission. Ainsi, l'emploi «non convenable» qu'un prestataire pouvait refuser sans crainte de perdre «son chômage» deviendrait «convenable», et son refus entraînerait la perte des prestations. On nous annonçait du même coup qu'une nouvelle définition serait inscrite aux règlements de l'assurance-emploi, règlements qui ne nécessitent pas l'approbation du Parlement.

Nous avons l'imagination fertile, je l'avoue, mais jamais nous n'aurions pu anticiper le projet déposé par la ministre des Ressources humaines, Diane Finley, le 24 mai, tant il relève d'un esprit calculateur et pernicieux.

Ainsi, on prévoit créer trois catégories de chômeurs, distinguant les «travailleurs de longue date» (ils ont cotisé 7 des 10 dernières années et perçu moins de 35 semaines de prestations), les «prestataires fréquents» et les «prestataires occasionnels» (peu d'expérience de travail), l'une et l'autre de ces catégories ne disposant pas des mêmes droits et n'étant pas soumises aux mêmes obligations.

Les prestataires fréquents sont les premiers stigmatisés parce qu'il ont déposé au moins trois demandes de chômage au cours des cinq dernières années ou reçu 60 semaines et plus de prestations. Ils ne disposeront plus, dorénavant, d'aucun délai raisonnable pour chercher un emploi selon leur domaine d'expérience, et ils devront dès la première semaine de chômage élargir leur recherche d'emploi à tous les secteurs, être disposés à accepter un emploi à 80% de leur salaire et 70% à partir de la septième semaine! La loi qui sera bientôt abrogée les aurait en partie protégés. Ce ne sera plus le cas. Ce faisant, 70 ans de jurisprudence s'en vont à la poubelle.

C'est aux travailleurs saisonniers qu'on s'en prend tout particulièrement. Observons qu'ils sont surtout concentrés dans l'est du Canada, représentant 34% des prestataires d'assurance-emploi au Québec, 46% au Nouveau-Brunswick, 51% à Terre-Neuve, alors qu'ils ne sont que 19% en Ontario, 14% en Colombie-Britannique et 9% en Alberta. C'est comme si l'Ouest déclarait la guerre à l'Est en s'en prenant nommément aux saisonniers.

Cela sans parler de l'abolition des projets pilote mis en place en 2004 et 2005 par Paul Martin (cinq semaines supplémentaires de prestations pour éviter le «trou noir», calcul du taux à partir des 14 meilleures semaines de travail) pour adoucir les effets les plus néfastes des compressions imposées quelques années plus tôt au régime d'assurance-emploi. Ces projets pilote visaient les régions à haut taux de chômage, soit six des 12 régions administratives québécoises de l'assurance-emploi. Non seulement ces régions reviennent à la situation d'avant 2004, mais on y rajoute de nouveaux resserrements visant lesdits prestataires fréquents.

Il y aura, à partir de 2013, des coupes massives de prestations visant les saisonniers, mais aussi tous les salariés qui ne travaillent pas à l'année (employés de soutien et de garderie en milieu scolaire, chargés de cours, intermittents du monde du spectacle et du cinéma, etc.). Tout cela affectera à coup sûr leur vie familiale, mais aussi l'économie locale et régionale. Rappelons une évidence: les prestations de chômage servent à payer les comptes et l'épicerie. Quel sera le coût humain de ces mesures annoncées et celui sur l'économie des régions et des provinces?

Stigmatiser ceux d'entre nous vivant dans des régions où l'activité saisonnière domine les réalités économiques, leur en faire porter la responsabilité, les discriminer en créant une nouvelle sous-classe de chômeurs appelée «prestataires fréquents», pointer à statut précaire, relève non seulement d'une mesquinerie sans nom, mais entraînera des conséquences très graves. En sont-ils conscients à Ottawa? Bien sûr que oui.