Chantal Trépanier a un problème de conscience.

La présidente de SIM (Service d'intervention sur mesure), une firme de Shawinigan qui est devenue la championne de la formation en santé et sécurité au travail au Québec, bénéficie grandement du Plan Nord. Les revenus de son entreprise ont bondi de 50% cette année grâce au boom minier. «Je sens mon énergie décupler. Le Plan Nord a donné un puissant élan à mon entreprise», dit-elle. Au même moment, elle se demande, comme bien des Québécois, si nous tirerons suffisamment profit de cette grande aventure.

L'enjeu se résume ainsi: comment obtenir le maximum tout en restant concurrentiel?

Le Québec a un potentiel formidable, mais elle n'est pas la seule juridiction au monde à avoir du fer, du nickel ou de l'or dans son sous-sol. Le Financial Times compte 61 pays dont les ventes de minerais représentent plus de 25% de leurs exportations totales. Les sociétés minières peuvent s'établir ailleurs et le minerai trouvé ici n'a pas de propriété particulière. Du fer, c'est du fer, et il a le même prix partout au monde.

Les mines québécoises doivent rester compétitives, sinon elles seront les dernières à être exploitées et les premières à cesser leurs activités si les prix du minerai dépriment, comme cela arrive régulièrement dans cette industrie très cyclique. À risque politique égal et à gisement équivalent, les sociétés minières investiront en fonction des coûts d'exploitation. À partir des données des sociétés minières actives en Australie, le professeur d'économie Martin Coiteux a estimé que les coûts d'extraction d'une tonne de fer sont pratiquement deux fois plus élevés au Québec que dans ce pays.

La fiscalité est aussi un facteur de compétitivité. En ce qui concerne les droits miniers, le Québec est déjà la deuxième juridiction au Canada avec un taux de redevances de 16%, contre 10% seulement en Ontario. PricewaterhouseCoopers a évalué l'ensemble du fardeau fiscal d'une mine d'or au Québec à 40,9% par année, comparativement à 28,8% en Ontario. Les trois provinces canadiennes où le fardeau fiscal est le moins élevé, l'Ontario, la Saskatchewan et la Colombie-Britannique, sont les plus importants producteurs minéraux au pays.

Malgré le boom minier que connaît le Québec et le potentiel de son sous-sol, les investissements pour des activités d'exploration et de mise en valeur ont augmenté plus rapidement dans l'ensemble du Canada qu'au Québec entre 2001 et 2010 et on n'observe pas de renversement de tendance au cours des dernières années.

Je n'attribue évidemment pas cet écart aux modifications apportées en 2010 aux droits miniers au Québec; je souligne seulement que le Québec taxe davantage que ses quatre principaux concurrents canadiens qui ont tous réduit le fardeau fiscal total de leur industrie minière au cours des dernières années. Non seulement nous sommes moins concurrentiels, mais certains souhaitent que nous le soyons encore moins.

À les entendre, non seulement le Québec est seul au monde et peut imposer toutes ses volontés, mais il aurait été abandonné aux sociétés minières qui seraient en train de piller nos ressources, de creuser des trous partout et même de nous appauvrir.

Comparons donc le Québec à une juridiction comparable qui a décidé de miser sur ses ressources minières pour son développement économique. Je vous propose donc l'État de l'Australie-Occidentale dont la population fait grosso modo celle de Montréal (2,1 millions).

Un État béni des dieux. Le sous-sol regorge de pétrole et renferme plus de 50 minerais différents. On y trouve énormément de fer: on en a vendu pour 60 milliards de dollars canadiens en 2010-2011. C'est environ 10 fois plus que la production de minerais du Québec la même année. Le climat est plus agréable, le sol n'est jamais gelé et les marchés asiatiques sont plus proches, comparativement au Nord québécois. 42% du minerai australien est d'ailleurs expédié vers la Chine.

Vous trouvez qu'il y a trop de mines au Québec? Il y en 893 en activité dans cet État, contre 23 au Québec. Cela permet à l'État de collecter 5,8 milliards de dollars australiens en redevances minières, surtout, et pétrolières. Le cinquième des revenus de l'État provient de ces redevances. Ces redevances sont-elles plus élevées qu'au Québec? L'économiste Martin Coiteux a calculé qu'en 2010-2011, le Québec a touché en redevances l'équivalent de 5,32% de la valeur de la production minière tandis qu'en Australie de l'Ouest, ce taux n'a atteint que 4,89%.

L'État australien n'a pas de scrupules non plus à produire du pétrole et du gaz naturel et il considère que les gaz de shale (ou de schiste) font partie de son avenir énergétique.

Voilà donc le genre de concurrent contre lequel se bat le Québec.

Nos entrepreneurs peu valorisés

Si je suis inquiet pour l'avenir du Québec, ce n'est pas parce qu'il y aurait moins d'entrepreneurs. J'ai peur que nous ayons oublié combien ils sont essentiels au développement de la société, que nous ne saisissions pas toutes les occasions qui se profilent devant nous et que nous ayons plus de difficultés à faire grandir nos entreprises.

Les entrepreneurs se sentent peu appuyés et surtout peu valorisés par la société québécoise.

Dans le Québec actuel, il ne serait pas toujours bien vu d'être propriétaire. Dans certains milieux, on croit même que leurs intérêts sont par définition des intérêts égoïstes, différents de ceux de la majorité de la population. On oublie que toute l'organisation de notre vie est structurée et animée par des entrepreneurs.

Ce que l'on mange a été semé, cueilli, transporté, transformé, vendu et souvent apprêté par des entrepreneurs. Le coiffeur, l'électricien, le garagiste, le cordonnier, le quincaillier, le boutiquier, le marchand, le médecin, le psychologue, le prospecteur minier, le camionneur, le comptable, l'avocat, le plombier, le propriétaire d'un restaurant, d'un café ou d'un bar, l'architecte, le constructeur d'habitations, le notaire, le producteur de films, le propriétaire d'une entreprise sont tous des entrepreneurs.

Ils constituent le moteur de notre économie. Plus il y a d'entrepreneurs, plus il y a d'emplois, plus il y a de richesse et mieux la société se porte. Les entrepreneurs sont les héros méconnus du grand film de l'économie. On entend peu parler d'eux, sinon pour en dire du mal. «L'entrepreneuriat n'est pas valorisé au Québec. On ne favorise pas l'accomplissement des choses. Comment une société pouvait-elle réussir son passage vers le futur si elle ne favorisait pas la matérialisation des idées? On cause, mais on ne bâtit pas», déplorait l'entrepreneur Charles Sirois en février 2010, lors de la conférence annuelle de Réseau Capital, le regroupement de ceux qui investissent dans les entreprises.

J'ai pourtant vu ces dernières années des dizaines d'entrepreneurs courageux et déterminés, convaincus qu'ils ont les idées, les produits et les ressources pour réussir. Ils m'ont donné espoir et réconfort. «Notre force au Québec, c'est que nous sommes un jeune peuple créatif. Les gens ont besoin de modèles de réussite. On peut bâtir de grandes entreprises au Québec et je veux en bâtir une», me disait François-Xavier Souvay, le président de Lumenpulse, un fabricant de luminaires architecturaux.

J'aimerais avec ce livre réconcilier les Québécois avec leurs entreprises et avec le goût d'entreprendre.