Hier, j'ai annulé tous les cours de premier cycle qui devaient se donner dans mon département cet été. Je l'ai fait pour éviter que l'université ait à payer pour des cours qui ne seront vraisemblablement pas offerts, les étudiants en grève étant déterminés à empêcher leur tenue.

Si je me fie aux courriels reçus, cette décision bouleverse la vie d'un grand nombre d'étudiants. Certains comptaient sur le trimestre d'été pour répondre aux exigences des programmes de deuxième cycle auxquels ils ont été admis, souvent à l'étranger. D'autres suivent moins de cours durant les trimestres d'automne et d'hiver pour travailler et profitent du trimestre d'été pour ne pas retarder leurs études. D'autres veulent tout simplement étudier.

Si l'annulation du trimestre d'été a d'énormes conséquences, je n'ose pas imaginer ce que seraient les conséquences d'un report des cours du trimestre d'hiver 2012 à l'automne prochain. Déjà, des étudiants en colère abandonnent pour s'inscrire dans des universités qui ne sont pas en grève.

Je parie qu'en cas de report, les plaintes se multiplieront de la part des étudiants internationaux qui ont des visas qui expirent, d'étudiants québécois acceptés pour un échange dans une université étrangère, d'étudiants qui doivent débuter un stage ou des études de maîtrise à l'automne, de ceux qui auront dû renoncer à une offre d'emploi... Cela sans compter qu'organiser le rattrapage pendant un trimestre régulier pose un défi administratif considérable.

À chaque jour de grève qui passe, la probabilité de report de cours à l'automne augmente considérablement, ainsi que mon angoisse.

Certains me diront que dans cette éventualité, je pourrais toujours envisager des cheminements de rattrapage sur mesure, pour accommoder les situations particulières. Il y a déjà suffisamment de gens qui croient que la science politique est anecdotique, qu'il suffit de quelques lectures pour accéder à ses connaissances, sans que j'aie à en rajouter. Jusqu'ici, nous avons considéré au département qu'apprendre les méthodes et les théories de la science politique exige des heures de classe; la grève ne peut servir de prétexte pour revoir nos normes pédagogiques, sans que cela ne vienne confirmer les plus injustes préjugés à propos de notre discipline. Que le rattrapage ait lieu maintenant ou à l'automne, plusieurs semaines seront nécessaires, même pour les étudiants qui ont d'autres projets.

Les étudiants en grève expriment leurs convictions politiques, jouant un rôle que l'on attend de tout citoyen dans une démocratie vivante. Mais la démocratie exige aussi une certaine modestie de ses citoyens. Si tous ont droit d'être entendus, tous ne peuvent être écoutés. La société serait bloquée si tous les citoyens déçus que leurs convictions ne trouvent pas écho chez les gouvernements se mettaient en grève. Les étudiants devraient accepter que le gouvernement ait une opinion différente de la leur et commencer à considérer les coûts de leur grève.

Il y a bien entendu les coûts pour la société, mais il y a des coûts individuels, qui me sont rapportés quotidiennement par des étudiants inquiets et que la probabilité croissante d'un report du rattrapage à l'automne ne rendra que plus nombreux. Les associations étudiantes, en grève ou non, doivent être soucieuses de tous leurs membres.

Si j'en juge au nombre d'étudiants inquiets pour leur session d'hiver, les mandats de grève ne sont peut-être pas aussi désirés que ce que l'on pourrait penser. Et de grâce, que les étudiants inquiets se déplacent pour exprimer leurs inquiétudes lors des assemblées de leurs associations étudiantes. C'est là que tout se décide.