Il est plutôt ironique de constater que c'est dans la foulée des célébrations entourant les 30 ans de la Charte canadienne des droits et libertés que sera débattue, jeudi prochain, la motion 312 du député conservateur Stephen Woodworth, qui pose la question: «Quand le foetus devient-il un être humain?».

Certains voient là une tentative de rouvrir un débat clos par la Cour suprême en 1989, ou encore une menace franche au droit des femmes au libre choix. Pour d'autres, cette motion trouve sa pertinence dans les avancées technologiques et le progrès de la médecine qui n'étaient certes pas dans le carnet des discussions à l'époque de l'arrêt Daigle.

Bien qu'au coeur du droit à l'avortement se trouvent des préoccupations éthiques et des considérations émotives, certaines questions, tout aussi dérangeantes soient-elles, - l'absence totale d'encadrement législatif, l'avortement de foetus à un stade où ils seraient considérés comme vivants et viables par les départements de néonatalogie et le «tourisme d'avortement» - méritent probablement d'être abordées sans pour autant que soient mis en péril le recours à l'avortement, les droits des femmes et l'accès à la contraception.

Si le débat a potentiellement une raison d'être, le gouvernement a toutefois une façon bien maladroite de l'inscrire à son agenda et le messager, très actif dans le mouvement chrétien contre l'avortement, n'a malheureusement pas la crédibilité et l'objectivité requises dans les circonstances. Ces extrémistes religieux, gardiens des bonnes moeurs, sont ceux-là mêmes qui se sont longtemps évertués à répandre des croyances aussi farfelues que la masturbation rend sourd et que l'avortement provoque le cancer.

L'hypocrisie ambiante et le paradoxe évident qui colorent la toile de fond de ce débat demeurent donc troublants et déconcertants. D'un côté, on souhaite ébranler des acquis chèrement gagnés, mais de l'autre, on se plonge la tête dans le sable en présumant que les jeunes sont abstinents et en abolissant les cours d'éducation sexuelle dans les écoles.

Bien que l'éducation soit de compétence provinciale, j'estime qu'il persiste une incohérence sociale à cet égard. Je déplore l'attitude des gouvernements qui, par souci de rectitude politique et sociale, se déchargent de la responsabilité de fournir aux élèves une formation en matière d'éducation sexuelle et imposent l'intégralité de ce fardeau aux parents.

Il est évident que ces derniers jouent un rôle déterminant dans l'attitude et les comportements qu'adopteront leurs enfants, mais l'influence des pairs et des milieux sociaux et scolaires justifie amplement que les écoles assument certaines obligations dans ce domaine, particulièrement à un âge où les jeunes sont naturellement influençables et réfractaires aux conseils parentaux.

Mes souvenirs d'adolescence me ramènent à mon école secondaire où, chaque printemps, se tenait le Colloque sur l'éducation à l'amour, destiné aux élèves de quatrième secondaire. Cet événement était attendu avec un mélange d'excitation, de curiosité, de gêne et de pudeur. On y tenait des discussions sur la biologie et la mécanique du sujet, comme l'anatomie des corps féminin et masculin, les infections transmises sexuellement, les grossesses non désirées et la technique de l'installation du condom. Mais on y parlait aussi d'émotions, d'attirance, de désir, d'homosexualité, de pornographie, bref de thèmes qui font universellement partie des découvertes sexuelles des adolescents.

L'émergence des nouvelles technologies forcerait une mise à jour du contenu de cette formation, qui devrait être offerte à un public plus jeune, compte tenu de la précocité de l'éveil sexuel. Mais ces sujets demeurent plus que jamais d'actualité et méritent d'être discutés de façon ouverte et franche dans un contexte pédagogique.

Espérons que le jour où nous oserons sortir notre tête du sable, former nos jeunes et nommer les grands bonheurs, comme les risques et difficultés inhérents à une sexualité active, nous aurons alors la crédibilité, la transparence et l'honnêteté nécessaires pour affronter les enjeux contemporains reliés à l'avortement.