Le Titanic, 100 ans déjà ! Un triste anniversaire qui a fait couler beaucoup d'encre au cours des derniers jours. Tout le monde connaît l'histoire de ce grand navire anglais dont le naufrage a fait 1500 victimes au milieu de l'Atlantique Nord dans la nuit du 14 au 15 avril 1912.

Même au Québec, on connaît beaucoup moins l'histoire de l'Empress of Ireland, ce grand navire également anglais, qui a coulé dans le fleuve Saint-Laurent le 29 mai 1914 à moins de 10 kilomètres des côtes, causant la mort de plus de 1000 personnes. La comparaison entre ces deux tragédies se révèle particulièrement intéressante.

Le facteur temps

Après la collision avec un iceberg, le joyau de la White Star reste à flots pendant deux heures et 40 minutes. Le drame c'est qu'il n'y a pas suffisamment de chaloupes pour tous les passagers et membres d'équipage. Sur l'Empress of Ireland, au contraire, il y a des embarcations pour tout le monde et même davantage car, justement, à la suite de l'accident du Titanic deux ans plus tôt, on a augmenté les exigences de sécurité. Mais le temps pour les mettre à l'eau et y faire monter les gens fait cruellement défaut.

Tout de suite près avoir été éperonné en plein flanc par le Storstad (charbonnier norvégien), l'Empress commence à pencher, ce qui complique déjà les opérations de sauvetage. Un peu plus tard, il se couche sur le côté dans un fracas d'enfer. Et 14 minutes seulement après la collision, alors qu'il y a encore des centaines de personnes à bord, il disparaît sous les flots. Parmi ceux qui ont eu le temps de sortir, une partie seulement se trouve dans des chaloupes ; les autres se débattent dans l'eau glaciale, avec ou sans gilet de sauvetage.

Les secours

Le télégraphiste du Titanic multiplie frénétiquement les appels de détresse mais, dans l'immensité de l'Atlantique Nord, les autres bateaux sont loin. Quand le Carpathia arrive enfin à la rescousse, le gigantesque paquebot repose déjà sur le fond de l'océan à 3800 mètres sous la surface.

L'Empress au contraire se trouve tout près de la côte, en face de Sainte-Luce près de Rimouski. En poussant à fond ses machines, il lui faudrait seulement 20 minutes pour aller s'échouer à proximité du rivage. Mais de machines, il n'y en a plus. La proue du Storstad a détruit les chaudières. Il n'y a même plus assez de puissance pour produire de l'électricité. Le grand hôtel flottant est vite plongé dans le noir.

Heureusement, le Storstad est toujours là, tout près. Mais il faut un certain temps pour que ses hommes puissent mettre des chaloupes à la mer et revenir sur les lieux de l'accident, dans la nuit et le brouillard, en se guidant sur les cris.

Sauve qui peut

Pour chacun des deux bateaux, le nombre de victimes est effarant. Titanic : 1500. Empress of Ireland : plus de 1000. Mais le nombre de morts n'est pas la seule distinction.

Sur le Titanic, le temps disponible pour les opérations de sauvetage permet de maintenir les règles de civisme et notamment de donner la priorité aux femmes et aux enfants. Sur l'Empress, au contraire, compte tenu de la rapidité des événements, une seule règle s'applique : sauve qui peut ! Et dans le terrible tourbillon de ce run for your life, les adultes les plus forts et les plus agiles sont avantagés, surtout les matelots qui connaissent bien le bateau et ses équipements. C'est pourquoi la proportion de femmes et d'enfants, ainsi que la proportion de passagers (par rapport au personnel de bord), sont beaucoup plus élevées dans le bilan des victimes de l'Empress que dans celui du Titanic.

4000 mètres et 40 mètres

Une profondeur d'eau de presque 4000 mètres dans le cas du Titanic et de seulement 40 mètres dans le cas de l'Empress of Ireland.

Il est frustrant de penser que si l'Empress avait piqué du nez comme le Titanic, sa proue aurait touché le fond du fleuve avant que sa partie arrière ne commence à s'y enfoncer.

Dans les années suivant le drame du Titanic, plusieurs craignaient les traversées océaniques. Le trajet Québec Liverpool se faisait en six jours : deux sur le fleuve et quatre en haute mer. Pour rassurer sa clientèle, le Canadian Pacific, propriétaire de l'Empress, inscrivait sur ses affiches publicitaires : « Seulement quatre jours en haute mer ». Car, bien entendu, les deux jours sur le fleuve ne présentaient aucun danger...

Pour finir sur une note plus positive, soulignons que dans toute tragédie, certains ont de la chance. Par exemple, ce rescapé de l'Empress of Ireland, qui deux ans plus tôt avait survécu à un premier naufrage: celui du Titanic !