Il y a quelques semaines, j'avais un urgent besoin de mascara. Comme ma mère avait également quelques emplettes à faire, nous avons décidé d'aller à la pharmacie du coin.

J'avais déjà complété mes achats, alors que ma mère poursuivait son magasinage. Je me suis installée près de la sortie pour l'attendre. Elle finit par faire son choix et se range dans la file de la caisse. La dame devant elle semble être une Québécoise d'origine. Elle paie, s'avance vers la sortie, et avec mécontentement, regarde ma mère et s'exclame: «Ah, cette crisse d'Arabe à la caisse! Qu'elle retourne dans son pays ou qu'elle enlève son ostie de voile! On n'a pas besoin de ces extrémistes ici! Vous me comprenez, vous?» Avec un sourire ironique, je lui réponds sèchement: «Non madame, je ne vous comprends pas. Cette femme, c'est ma mère et c'est aussi la femme la plus exceptionnelle qu'il m'ait été donné de connaître.» Rouge de confusion, elle se dépêche de partir en marmonnant.

Ma mère, éducatrice à la CSDM, est au pays depuis environ vingt ans. Elle maîtrise parfaitement le français et est l'une des femmes les plus ouvertes d'esprit que je connaisse. Le «hic», c'est qu'elle porte le hijab, ce tissu qui effraie et répugne tant certains Québécois.

Ma mère n'est pas une extrémiste, loin de là. Son père, mon grand-père, lui a même souvent déconseillé le port du hijab; c'est elle qui a choisi de le porter. Elle ne m'a jamais obligée à porter le hijab, me le présentant comme un choix. C'est ainsi qu'elle nous a élevées, mes soeurs et moi. Elle nous a appris l'islam, nous l'a transmis du mieux qu'elle pouvait, mais nous a également inculqué des valeurs et des idées que le Québec lui a fait découvrir. Aujourd'hui, ma grande soeur est enseignante, passe son temps entre le Liban et le Québec et elle porte le hijab. Ma plus jeune soeur entre au secondaire l'an prochain et ne le porte toujours pas. Quant à moi, je suis étudiante au collégial, je porte le dernier mascara de L'Oréal et non le hijab. Nous sommes toutes quatre Québécoises, chacune à notre façon, mais nous sommes également des filles de l'islam.

J'ai grandi entourée de femmes portant le hijab; ma mère, mes tantes, mes cousines, mes amies. Aucune n'y a été contrainte. C'est un choix qu'elles ont fait. J'ai vécu et je vis encore parmi ces femmes; aucune d'entre elles n'est soumise. Elles ont, presque toutes, un diplôme en main et une carrière palpitante. Elles sont sociables, drôles, ont des amis et sortent souvent. Elles sont la règle générale, non l'exception. Le Québec a placé la liberté au centre de ses valeurs fondamentales et il a eu raison de le faire; c'est pourquoi, en bons Québécois, nous avons le droit et le devoir de prendre nos propres décisions, mais aussi de respecter celles d'autrui, tant qu'elles ne portent pas atteinte à l'ordre public. Le hijab n'est pas dangereux. Pas plus que la kippa des Juifs ou les quinze piercings de ma voisine.

Aucune d'entre nous n'est une étrangère. Le Québec fait partie de nous, du bout de nos orteils jusqu'aux épingles qui tiennent nos hijabs. Au bout de quelques semaines, ma tante finit souvent par s'exprimer: «Il est temps de rentrer à la maison.»

Le Québec, c'est mon pays, c'est celui de mes soeurs, de mes cousines et de mes amies. L'accent, on l'a. Les hivers rudes, on les a vécus. La Saint-Jean, on la fête. La liberté, on la chérit. Notre «chez nous», c'est ici.