Quand Pâques refleurit au soleil, tout le monde s'affaire à préparer ses réceptions, à grand renfort de bonne chère, de bon vin et de chocolat. Pourquoi tout ce branle-bas de combat? De fait, à peu près personne ne se demande vraiment en quel honneur on s'excite autant ce jour-là. Pourtant, qui souhaiterait que ces célébrations disparaissent, même si elles semblent aujourd'hui absolument vides de signification?

Cependant, quand on y regarde de plus près, on s'aperçoit qu'elles continuent à jouer un rôle irremplaçable dans nos sociétés, malgré la façade d'indifférence généralisée à l'égard des questions les plus troublantes pour le genre humain. En apparence, nous nous préoccupons surtout de la santé financière de nos foyers et de nos États, des problèmes écologiques, de l'engorgement des urgences, des droits de scolarité, de la crise de l'euro, du nucléaire iranien, des talibans, etc.

On entend et lit peu de chroniques sur le vrai sens de Pâques, sur la mort et sur l'au-delà. Hormis, peut-être, lors des grandes catastrophes, il y a très peu d'espace dans le discours public pour ce genre d'interrogations. Pourtant, l'angoisse existentielle est bien présente, mais facilement masquée derrière toutes ces alarmes qui font la une de nos médias. Peut-être a-t-on tendance à voir des menaces et des démons partout, parce qu'on a tiré un voile sur la seule vraie menace, celle de la mort qui nous attend tous inexorablement?

Cela expliquerait pourquoi les célébrations religieuses se perpétuent et qu'on y tienne tant, même si on ne croit plus à grand-chose. Elles répondent à un besoin humain toujours aussi actuel. Jadis, on pleurait ensemble une mort exemplaire, dans un supplice exemplaire, celui de la croix. Et tout le monde en était ému, y projetant sa propre souffrance et celle de tous ces humains qui sont broyés par la haine, la bêtise ou simplement le destin. Il suffit d'écouter une musique aussi sublime que La Passion selon saint Mathieu de J.-S. Bach, pour communier, encore maintenant, à cette compassion, qui est déjà une anticipation de la grande tristesse de l'ultime séparation.

On l'oublie parfois, mais les événements qui font l'objet de ces commémorations n'appartiennent pas seulement à notre tradition. L'esclavage, la souffrance et la mort ont toujours affligé l'humanité. Partout sur la Terre et depuis les origines, on a craint le Mal et la Mort et on a inventé toutes sortes de rites, comme les sacrifices d'animaux et même d'humains, pour s'en protéger.

Les Égyptiens ont eu leurs dieux morts et ressuscité Osiris et Horus, et les Grecs ont eu Dionysos, le dieu deux fois né, ou encore le Phénix, qui renaissait de ses cendres. Il en est de même pour tous les drames cosmiques associés partout dans le monde à la régénération annuelle de la végétation, où l'on célébrait la victoire de la vie sur la mort.

Mais de nos jours, la religion ne nous est plus d'un grand secours, même si nous craignons de voir le monde basculer dans le chaos. C'est à ce moment que la réflexion philosophique peut nous venir en aide et nous rappeler que nos vies, de même que l'existence de l'univers entier, sont pleines de sens et que tout peut renaître. Comment imaginer que toutes ces merveilles, dont nous profitons quotidiennement, soient là sans aucune raison, et que leur destin final soit le retour au néant? Comment croire que nous soyons sortis de rien pour retourner à rien, comme par hasard? Et le monde entier pourrait-il être apparu par la force de lois naturelles venues d'on ne sait où? Serait-il absolument inexplicable, pour ne pas dire absurde?

Alors il faut bien qu'une Intelligence suprême l'ait conçu et lui ait donné l'existence. Ceci n'est pas un mythe inventé des poètes ou des esprits en délire. C'est le genre de doctrine que l'immense majorité des philosophes ont démontrée depuis des siècles: puisqu'il existe quelque chose plutôt que rien, quelque chose qui aurait bien pu ne pas être, il faut absolument qu'une Cause première - absolue, infinie et éternelle - soit à l'origine du grand Tout.

Et comment croire que l'Être suprême qui est derrière tout cela puisse nous avoir créés pour nous plonger dans la misère? Dieu serait-il un sadique qui s'amuserait à entretenir la souffrance universelle? Quel non-sens et quel affront à notre intelligence!

Beaucoup de gens qui nient l'existence de Dieu n'osent pas espérer que le soleil puisse finir par dissiper les nuages qui assombrissent l'avenir de l'humanité: celle-ci serait corrompue et courrait à sa perte. C'est le genre de pessimisme qui empoisonne notre atmosphère. Ce sentiment est si répandu en Occident et si ardemment cultivé par nos médias, qui ne cessent de faire l'étalage des horreurs qui frappent nos sociétés!

Comme Dieu nous a créés libres, notre destin dépend autant de nous que de lui. Nous pouvons et devons faire des choix. Par conséquent, il est inévitable que nous commettions parfois des erreurs, même de très graves. Alors nous nous sentons perdus et condamnés à tout jamais. C'est d'ailleurs probablement pour s'autopunir que les humains ont inventé l'Enfer et s'en sont servis comme d'un épouvantail depuis deux mille ans. Finalement ne serait-ce pas le sentiment de culpabilité qui nous ferait le plus souffrir et qui nous porterait à désespérer de Dieu?

Pourtant, nos erreurs ne sont pas irréparables. De même, nos souffrances peuvent servir à nous apprendre des choses qui nous rendront meilleurs et plus heureux. La vie est ainsi faite que l'on ne comprend pas grand-chose, si ça ne fait pas un peu mal. Bien plus, il est clair que nous refuserions un bonheur qui nous tomberait dessus sans que nous l'ayons acquis par nos propres forces. En fait, ce soi-disant cadeau ne pourrait pas être un vrai bonheur.

Dans le fond, c'est ce genre de vérités, que tous les hommes ont perçues intuitivement et qu'ils ont exprimées à travers des symboles et des histoires merveilleuses de mort et de résurrection, qui leur servaient à garder vivante l'espérance en la victoire finale du Bien sur le Mal.

Aujourd'hui nous ne sommes plus aussi sensibles à ce langage imagé: nous sommes devenus trop raisonneurs et trop froidement réalistes. En retour, heureusement, il nous reste justement la Raison, qui peut nous aider là où l'imagination nous fait défaut. Tout le monde est philosophe à sa manière et peut se servir de sa propre réflexion pour comprendre que la vie a un sens et que la mort n'est qu'un passage difficile.

Et puisque Pâques inaugure la saison des amours, pourquoi ne pas y fêter Dieu comme le grand Entremetteur et voir la Résurrection, comme l'éternelle consécration de nos plus merveilleux moments d'extase?

L'auteur donnera une conférence intitulée «Dieu est-il responsable de nos malheurs?», le mardi 17 avril, au Centre St-Pierre, à 19h, à Montréal.