Le débat sur les bordels légaux peut facilement nous amener à croire qu'il y a une bonne et une mauvaise prostitution.

La bonne, impliquant des personnes majeures, consentantes, en bonne santé et qui travaillent dans des établissements propres et sécuritaires. Et la mauvaise, impliquant des personnes contraintes, souvent mineures, achetées ou vendues comme de la vulgaire marchandise, exploitées dans des lieux sordides et subissant des brutalités.

Dans cette optique, on peut facilement penser que la légalisation des maisons closes fera tout naturellement régresser la seconde catégorie au profits de la première.

Les personnes prostituées ne doivent pas être criminalisées et devraient pouvoir être protégées adéquatement contre toute forme de violence, mais il est faux de croire qu'il suffira de légaliser les maisons closes et de donner ainsi à la prostitution un paravent de respectabilité, pour que cesse la violence envers les personnes prostituées et empêche la violence dans les établissements légaux.

On ne parvient même pas à agir contre les garderies, les écoles et les centres d'hébergement pour personnes âgées clandestines et on s'imagine pouvoir contrôler tout ce qui se passe dans une maison close?

Bien sûr, en créant deux catégories de personnes prostituées, la légalisation des maisons closes risque surtout de marginaliser les personnes qui en seront exclues pour diverses raisons: âge, apparence, origine ethnique, statut irrégulier, problème de santé, dossier criminel, etc.  Nombre de ces exclu(e)s se retrouveront d'ailleurs avec les clients éventuellement refusés dans ces établissements, (parce qu'ils ne veulent pas porter de préservatif, veulent des prostitué(e)s mineur(s) ou ont des comportements violents). Cependant, il peut se passer bien des choses derrière une porte close.

Comment s'assurer qu'un gardien de sécurité ne fermera pas les yeux sur des actes de violence commis sur une personne prostituée (l'argent fait si facilement perdre la mémoire)?  Que la direction n'engagera pas de personnes mineures avant de leur fournir de faux papiers?  Que des personnes prostituées ne seront pas obligées de mettre leur sécurité en danger (sexe non protégé, client violent, gang bang, etc.) sous menace de renvoi? Les normes du travail n'ont pas fait disparaître les abus contre les droits des travailleurs et les cas de harcèlement sexuel et psychologique, (même dans les milieux de travail les plus classiques), font régulièrement les manchettes.  La phrase «Si t'es pas content(e), il y en a pleins qui attendent de prendre ta place!» est encore très à la mode!  

Comment empêcher les proxénètes de contraindre à la prostitution par la menace et la violence des femmes en situation irrégulière, dont plusieurs sont attirées ici sous de faux prétextes (emploi de femme de ménage, mariage, etc.) et ne parlent ni français ni anglais?  Actuellement, certaines de ces femmes ne doivent leur salut qu'à une intervention policière?  Il suffit de voir à quel scepticisme auquel se heurtent déjà les victimes d'agression sexuelles, (surtout lorsqu'elles connaissent leur agresseur) ainsi que l'incapacité de la justice à protéger les victimes de violence conjugale qui craignent pour leur sécurité pour imaginer quels obstacles doivent et devront encore surmonter les personnes prostituées victimes de violence pour obtenir justice.

Les maisons closes légales ne pourront même pas garantir la sécurité des clients. Un préservatif peut se rompre, le VIH/SIDA peut mettre jusqu'à 6 mois avant d'être détectable dans le sang et l'herpès génital, (dont les lésions favorisent d'ailleurs la transmission du virus), peut se transmettre même en présence d'un préservatif.

La prostitution est depuis longtemps contrôlée par le crime organisé, de même que les bars de danseuses nues et les salons de massage érotique.  Ce serait faire preuve d'une grande naïveté que de s'imaginer que ce milieu acceptera avec grâce que les futures maisons closes légales échappent à leur contrôle.

On sait que des représailles pouvant aller jusqu'à l'incendie criminel ou l'attentat à la bombe attendent les propriétaires de bars qui refusent simplement la vente de drogue dans leur établissement.  On sait aussi les pressions qui sont exercées sur les danseuses nues pour donner aux clients ce qu'ils demandent même lorsque ce n'est pas permis par le règlement de l'établissement (attouchements à l'entre-jambes, relation complète, etc).

Le propre de la clandestinité, c'est de répondre à une demande qui n'est pas satisfaite par ce qui est légalement disponible alors le trafic de personnes et la violence ne sont pas prêts de disparaître.

Qu'elle se fasse dans les conditions les plus sécuritaires ou les plus dangereuses, les phénomènes sociaux favorisant la prostitution sont les mêmes qui favorisent la violence contre les personnes prostituées.

La «bonne» et la «mauvaise» prostitution sont les deux faces indissociables d'une même médaille.  Tant qu'on ne s'attaquera pas honnêtement aux fléaux que sont la pauvreté, les agressions sexuelles, l'inceste, la pédophilie, la violence familiale, le décrochage scolaire, l'hypersexualisation des jeunes filles, la toxicomanie et les problèmes de santé mentale, des personnes continueront à être exploitées sexuellement et à subir de la violence et ce même dans la plus légale des maisons closes. On doit aussi s'attaquer au système de double standard qui fait de la personne prostituée l'objet d'un mépris qui épargne ses clients.

Enfin, il faut s'attaquer au mythe autour duquel s'articule la prostitution, soit que le fait de payer une autre personne pour des services sexuels confère des droits sur cette personne qui perd alors toute souveraineté sur son corps.  La sexualité est un besoin naturel, considérer une personne comme un produit de consommation ne l'a jamais été.