C'est avec beaucoup d'intérêt et une certaine émotion que j'ai lu la première chronique de Pierre Foglia sur les morts de la route samedi dernier. Ces événements, qu'il décrit dans le style direct qui est sien, ont réveillé en moi le souvenir de scènes pénibles, que je n'ai jamais réussi à chasser de ma mémoire.

J'ai été policier à Montréal durant 32 ans et pendant un certain temps, j'étais lieutenant, un chargé de relève dans le jargon policier montréalais de l'époque. L'une de mes responsabilités consistait à aller apprendre la mort d'un être cher à des parents, généralement au milieu de la nuit, que l'événement soit survenu à Montréal ou ailleurs.

Avant d'occuper cette fonction, j'ai été, durant 10 ans, chef de la section technique de la police de Montréal, responsable de la manipulation des bombes, de la plongée et des fusillades. Des cadavres, j'en ai vus plus souvent qu'à mon tour, parfois des corps en pièces détachées à la suite d'une explosion, assez pour en faire des cauchemars à l'occasion.

Mais ce sont mes visites nocturnes et impromptues chez des parents, qui ne se doutaient généralement de rien, qui m'ont le plus marqué durant ma longue carrière.

Je me revois, par une belle nuit d'été, dans un HLM du quartier Rivière-des-Prairies, un peu après minuit, aller annoncer à une dame dont on avait trouvé le nom dans les effets personnels d'un garçon de 16 ans tué alors qu'il prenait place dans un camion accidenté, que son fils était mort. En conformité avec les directives, je devais lui demander de se rendre à la morgue à 10 h ce matin-là pour identifier sa dépouille.

Je sonne et au bout d'un moment, qui semblait toujours une éternité, une dame en tenue de nuit vient ouvrir, et sans regarder qui est à la porte, dit d'une voix quelque peu exaspérée : « Robert, tu as encore oublié ta clé !» J'ai sursauté, car je m'appelle aussi Robert. Puis, pour attirer son attention, je tousse légèrement, elle se retourne... et s'écroule sans m'avoir donné la chance de parler, devinant fort bien le but de ma visite. Elle se relève, en proie à une crise de larmes et constatant qu'elle est seule, je tente tant bien que mal de la réconforter jusqu'à l'arrivée, enfin, d'une voisine, alertée par ses cris et qui vient prendre la relève.

Je n'ai rien du type particulièrement émotif, mais je suis moi-même un père de famille et il était bien difficile de rester insensible en pareilles situations. Parfois, je me suis surpris à étreindre une femme que je n'avais jamais rencontrée auparavant, et de trouver des mots qui venaient de je ne sais où, pour atténuer un tant soit peu sa douleur, tout en essuyant discrètement une larme, car un policier, tout le monde le sait, ça ne doit pas pleurer...