Il est paradoxal que bien qu'un réseau électrique doive être en parfait équilibre technique pour fonctionner, il règne un déséquilibre aussi grand dans ce secteur - autant au Québec même qu'entre les provinces canadiennes.

La stratégie énergétique québécoise permet ainsi de construire simultanément de nouveaux projets à plus de 11¢/kWh et de signer des contrats industriels autour de 4¢/kWh. Entre les provinces, l'écart est encore plus vertigineux: l'Ontario est prête à payer jusqu'à 80¢/kWh pour de l'énergie solaire, Terre-Neuve vend de l'hydroélectricité au Québec pour 0,25¢/kWh, alors qu'on brûle encore des quantités importantes de charbon et de pétrole au Nouveau-Brunswick pour produire de l'électricité. Aucun autre secteur de l'économie ne pourrait fournir d'exemples aussi contrastés d'écarts colossaux.

Le secteur électrique n'est cependant pas marginal: toute notre organisation sociale et économique repose sur lui. Il est de plus la seconde source d'émission de gaz à effet de serre (GES) au Canada, après le secteur du transport.

Alors que des crises budgétaires et environnementales se profilent à l'horizon, laisser de telles tensions perdurer dans ces réseaux énergétiques vitaux serait une grave erreur. Des économies pour les uns, des profits pour les autres et une réduction des émissions de GES pour tous peuvent être obtenus conjointement.

Parmi les différends empoisonnant les relations interprovinciales se trouve le contrat de 1969 de Churchill Falls, qui permet chaque année au Québec de répondre à 45% des besoins des consommateurs résidentiels pour le coût ridicule de 0,25¢/kWh (alors que le tarif résidentiel débute à 5,39¢/kWh). Ce contrat se termine en 2041. Peu importe les raisons expliquant ce contrat ou sa validité légale, l'injustice ressentie par Terre-Neuve-et-Labrador se répercute dans une multitude de dossiers: le développement du Bas-Churchill, la possible construction de nouvelles lignes de transmission évitant le Québec (et subventionnées par le gouvernement fédéral), le développement du gisement pétrolier Old Harry à cheval sur la frontière entre les deux provinces (dans le golfe du Saint-Laurent), l'acquisition annulée d'Énergie Nouveau-Brunswick par Hydro-Québec en 2009-2010... Autant d'exemples où des ressources sont gaspillées et des gains tant économiques qu'environnementaux ne se réalisent pas.

Formellement, la mésentente fondamentale dans le secteur électrique se manifeste par des négociations qui s'enlisent depuis 1995 dans le chapitre «énergie» de l'Accord sur le commerce intérieur canadien, bloquant tout effort d'harmonisation entre les provinces. Ce sont pourtant elles-mêmes qui s'étaient données pour objectif «d'établir un marché intérieur ouvert, performant et stable» dans ce secteur.

À l'heure actuelle, donc, les provinces ont des secteurs de l'électricité recroquevillés sur eux-mêmes (malgré des échanges significatifs), sous-performants et vulnérables aux velléités de politiciens, qui décident régulièrement de laisser libre court à leur opportunisme électoral en finançant des projets solaires, éoliens, hydroélectriques, nucléaires ou autres, sans chercher aucune cohérence globale. Les coûts économiques de ces projets sont assumés par tous, alors que les impacts environnementaux s'accumulent, érodant nos efforts de développement durable.

La ligne à observer est pourtant claire: suivre les principes établis dans les bases de l'Accord sur le commerce intérieur de 1995, s'inspirer de la Loi canadienne sur la santé, qui permet une harmonisation entre les provinces sans intrusion contestée du fédéral, et enfin, observer des exemples internationaux - par exemple ceux de la Norvège, de la Suède, de la Finlande et du Danemark. Ces pays souverains ont ainsi fédéré leurs secteurs électriques pour en optimiser les performances globales et individuelles, misant sur la complémentarité des ressources locales pour diminuer les coûts et les émissions.

Le Québec, les autres provinces et le Canada ne peuvent pas se permettre d'ignorer les initiatives qui sont à la fois bonnes pour l'économie et l'environnement. Pour cela, nous devons être prêts à revoir certains héritages du passé qui ne sont plus viables à l'heure actuelle, ou qui se révèleront être des poids dangereux à moyen terme.