Ça y est, c'est arrivé. J'ai vieilli. De la pédagogue passionnée que j'étais, il en reste moins. C'est peut-être à cause de la tâche, qui a considérablement changé. Suis-je récalcitrante au changement? Cela ne m'a jamais définie, pourtant.

Septembre 2011 a marqué ma 20e rentrée scolaire au secondaire. Je réfléchis: ai-je donné ce que j'avais à donner en éducation? Les programmes, les contenus, les thèmes me semblent pourtant très intéressants et je suis toujours partante pour les nouveaux projets, les nouvelles activités. Pas de routine pour moi, je vous prie! Il faut que je sois passionnée pour que les élèves le sentent, le vivent et le deviennent un peu!

Mais voilà, c'est de plus en plus difficile de les impressionner. Il me semble que le gros de la tâche me retombe sur les épaules: je donne, ils reçoivent, ils s'emmerdent...

Ou alors, est-ce l'âge? Le leur ou le mien, ce petit 40 nouvellement amorcé? Déjà 19 ans d'expérience. Il en reste une mèche avant la retraite, je ne peux pas penser comme ça! Comment et quand suis-je devenue responsable de tout? La réussite absolue de tous mes élèves, leur bien-être émotif, psychologique, le fait qu'ils fassent (ou non) leurs devoirs... Ça semble toujours être de ma faute.

Je ne peux m'empêcher de compter les collègues qui sont tombés au combat depuis le début de l'année. De bons profs pourtant, des gens compétents. Sans connaître tout le personnel de mon école, j'arrive à près de 10% du personnel enseignant. C'est comme ça dans la plupart des écoles. Or, les semaines passent et je ne peux plus le cacher: je suis sur la même liste qu'eux. Le congé m'appelle de sa voix envoûtante, l'épuisement m'écrase chaque jour un peu plus, la dévalorisation m'use. J'ai mal au coeur, mal à la tête...

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Tout le monde a des irritants. Ceux d'un prof?

Les élèves ne savent plus écouter. Les faire taire est maintenant un combat quotidien. On a beau essayer de combiner les stimuli en classe pour les aider à se concentrer (auditif, visuel, kinesthésique, les intelligences multiples, le travail d'équipe, la collaboration, la coopération et tutti quanti), ce n'est jamais assez. On a le tableau vert, le tableau interactif, le projecteur en classe, les haut-parleurs, on présente des extraits vidéo, des films, de la musique, on les emmène à l'audiovisuel pour faire un montage radio ou vidéo... Vous ne croiriez pas à quel point les profs se creusent la tête, habituellement avec plaisir, pour dénicher les activités les plus intéressantes et stimulantes qui soient! On s'essouffle quand même...

Nos jeunes sont convaincus que tout (je dis bien TOUT) ce qui leur passe par la tête est digne d'intérêt et doit être partagé illico. Ça presse! Vous connaissez Facebook? Twitter? Eh bien, c'est comme ça en classe - Je viens de me faire un sandwich! Je sors de la douche! Je viens de me gratter! J'ai un cheveu qui est tombé! -, sauf qu'ils disent chaque pensée, intéressante ou pas, sur-le-champ, à voix haute, que le prof soit au milieu d'une explication ou pas, qu'il y ait un examen ou pas. Bien loin de nous l'époque où on tournait la langue sept fois avant de prononcer un mot...

Nos ados croient que les profs sont des serviteurs (ou des nounous... ou des punching bags) à qui ils peuvent tout dire, n'importe comment. Ils peuvent nous insulter, nous injurier, nous intimider devant tout le monde. Vous savez pourquoi? Vous allez rire, je suis sûre. C'est parce qu'ils ont le droit de s'exprimer! C'est dans la constitution! La liberté d'expression, oui madame! La semaine dernière, une élève a réagi aux critères d'évaluation que j'annonçais en me criant en classe: «C'est chien, ça!» et d'en rajouter encore et encore, un autre d'ajouter «On veut un débat!», comme si c'était eux les spécialistes de l'éducation. Parfois, on reste bouche bée devant de telles interventions. C'est tellement malpoli, tellement inconcevable qu'on ne peut pas croire qu'on est en train de le vivre.

La déresponsabilisation. Toujours en 5e secondaire, reprise d'évaluation. Les élèves sont informés en classe: je leur donne la date. Peu le notent à l'agenda. Trois sur 13 se présentent. Politique de l'école: je dois informer les parents. Conséquence: appels de parents, courriels, négociations. C'est pas la faute de ti-pou, il a oublié. Oublié... Eh ben! L'autre m'accuse, dit que je ne l'ai pas informé. Des parents renchérissent, allez madame la prof, prouvez-nous que vous avez dit à Alex qu'il avait une reprise. Prouvez-le!

Les récriminations, commentaires, insultes des parents... Il y a quelques jours, un parent m'a écrit que ma gestion n'était «pas forte», «pas brillante», que je «pénalisais les parents». Il a remis en question mon jugement professionnel (l'a-t-il fait aussi devant son enfant?). Et il m'a indiqué comment les profs devraient faire leur travail, comment l'école devrait gérer ses élèves. En théorie, on dit que l'éducation est essentielle, que c'est une des valeurs les plus importantes de notre société. En pratique, on dénigre l'institution et les enseignants. Un exemple parmi tant d'autres: les animateurs radio qui offrent quasiment leurs condoléances à un auditeur étudiant qui appelle pour un concours et dit qu'il s'en va à l'école («C'est pas drôle... bonne chance... les vacances s'en viennent...»). Soyons honnêtes: n'est-il pas socialement acceptable de penser (et de dire, avec un gros rire bien gras) que les enseignants ne sont que des paresseux qui sont toujours en vacances et qui se plaignent constamment? J'exagère si peu...

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On pourrait croire que je suis amère ou négative, mais ce n'est pas le cas, ou du moins, ce ne l'était pas. Par contre, je suis fatiguée du ressac constant. Je souffre d'un excès de zèle au travail et d'une pensée teintée de rose, je le reconnais maintenant, qui en a peut-être fait vomir plus d'un. J'ai défendu, aidé, protégé mes élèves en difficulté depuis le début de ma carrière pour les accompagner dans leur cheminement vers la réussite. Tout le monde est bon, ai-je longtemps cru. Or, voici que cela se retourne contre moi; je ne l'avais pas vu venir. À être trop humaine, trop sympathique, trop tolérante, trop aidante, je suis en train de m'épuiser. On a abusé. Il est temps de penser à moi.

Chers parents, je vous en conjure, aimez vos enfants, mais aimez-les bien, à dose égale d'amour et de discipline. Trop d'amour et ils deviennent égocentriques, trop de discipline et ils s'écrasent. Encouragez-les, complimentez-les, mais avec réalisme afin qu'ils aient une vision juste d'eux-mêmes. Vous êtes leur miroir, ils se voient à travers vos yeux. Soyez honnêtes, aimants, justes.

Et si notre enfant fait une erreur, un oubli, un échec, laissons-le donc assumer, pour une fois, et arrêtons de surprotéger en attaquant le prof. Ça nous ferait du bien de travailler du même côté, pour éduquer nos jeunes, nos leaders de demain.

Ce sont eux qui s'occuperont de nous au CHSLD... Voulez-vous vraiment l'excuser à 16 ans, en pleine possession de ses moyens, d'avoir oublié une reprise d'évaluation? Ce sera plus grave quand il oubliera d'administrer une dose d'insuline à son patient, de resserrer les boulons de vos pneus, de tenir compte de toutes les déductions sur votre rapport d'impôt...

Votre jeune deviendra le médecin, le mécanicien, le comptable de quelqu'un, un jour. Les détails sont importants, le respect, la reconnaissance de l'éducation et de la compétence de l'autre, l'autonomie et la responsabilité le sont aussi. Pensez-y...