Le procès Shafia est un nouvel exemple de crime d'honneur qui provoque la haine des Québécois, qui y voient un acte inhumain, profondément répugnant, mais surtout un crime poussé par des codes culturels dont ils ne veulent pas dans leur société ouverte.

La culture des pays musulmans étant un sujet sensible, on voit s'afficher deux camps. Pour certains, c'est un exemple parfait de crime d'honneur, un crime «musulman» en quelque sorte. Pour d'autres, ce n'est qu'un crime horrible parmi d'autres, un acte abominable commis par des humains abominables poussés par des pulsions destructrices.

Ce que l'on oublie souvent, c'est que tout acte est culturel. Ce crime et tout le zèle médiatique qui l'accompagne font revivre le débat sur la culture. La culture est dans ses plus simples parties un ensemble d'outils d'analyse qui permettent à l'homme, dans un premier temps, de comprendre le monde vaste dans lequel il naît, puis d'interagir avec lui.

Bien sûr, les meurtres du père Shafia sont culturels en ce sens que c'est sa culture qu'il lui a fait voir dans le comportement de ses filles, surtout son aînée, quelque chose d'inadmissible, alors que la majorité des parents québécois n'y auraient vu que le développement normal par une adolescente de son individualité et de sa sexualité.

Mais ce qui nous fait voir ce crime comme «culturel», c'est le fait qu'il émane d'une culture étrangère à la nôtre. On classe ce genre de crimes dans la catégorie froide des crimes issus de l'application sévère d'une autre forme de loi que nos codes civil et criminel, qu'elle soit séculaire ou religieuse. Cette catégorie est alors mise en opposition aux crimes «chauds» de rage, d'instinct et, surtout, de passion.

L'exemple classique est celui du mari qui découvre sa femme au lit avec un amant et qui les tue tous les deux dans un instant de rage incontrôlable. Ce crime est pourtant culturel de la même façon que le cas Shafia l'est: il vient de la tradition monogame judéo-chrétienne, ou l'adultère est une insulte infâme. Le mari commet un meurtre de rage, mais la source de cette rage est une infraction à un code culturel.

On voit bien que le meurtre des trois filles et de l'ex-femme Shafia a été provoqué par une grande rage, une passion même. Le père a montré cette rage au procès, se présentant quasiment comme victime de leurs comportements inadmissibles à ses yeux. Le crime de ce dernier est en fait un meurtre culturel et passionnel à la fois. C'est sa culture qui a fait des actes de ses filles une insulte à l'honneur de sa famille, c'est sa rage qui l'a poussé à l'acte.

Si c'était vraiment un meurtre purement culturel et religieux, parce que tout le monde le pense mais n'ose le dire, ça aurait été celui d'un père infiniment triste de devoir commettre ces actes horribles, mais inévitables parce que c'est son devoir de chef patriarcal de s'assurer de laver l'honneur familial. Un peu comme Abraham emmenant son fils Isaac (ou Ismaël dans le Coran) sur le mont Moriah pour l'abattre sur ordre de Dieu, crime qu'il est prêt à commettre pour la gloire de Dieu mais qui le ronge de remords et de peine.

Les meurtres des Shafia ne s'apparentent pas à celui d'Abraham obéissant aux lois et édits de Dieu, et la main de ce dernier n'a sûrement pas arrêté le père au moment de l'acte. Ce sont des meurtres comme beaucoup d'autres qui arrivent au Québec, aux États-Unis ou en France. Ce sont ceux d'un homme qui voit un affront tellement fort qu'il ne peut contenir sa furie et met à exécution un plan horrible pour l'assouvir.

Faire une distinction simplement parce qu'il s'agit une culture étrangère est non seulement faux, mais dangereux, surtout avec une couverture médiatique des plus explosives. Cela risque d'attiser des tensions inutilement, de sectariser un Québec que l'on veut de plus en plus ouvert, et peut-être de faire surgir des crimes «culturels» ou «passionnels» entre des communautés qui n'aspirent qu'à se comprendre et se lier.