On avait entendu et lu sur la mort de Chantal Lavigne, mais on en savait bien peu de choses jusqu'à ce que l'équipe de l'émission Enquête lève le voile sur les tragiques événements, dignes d'un scénario de film d'horreur, qui se sont déroulés dans cette maison de Durham le 29 juillet dernier.

Ce visionnement m'a secouée et bouleversée mais une fois la stupeur initiale passée, j'ai éprouvé une profonde rage à l'endroit de ces charlatans, trop souvent intelligents et charismatiques, qui abusent de gens fragiles émotionnellement dont la quête d'absolu les mène à eux. Se croyant investis d'une obscure mission confiée par des forces supérieures, leur discours est tellement senti et convaincant que leur esprit en devient complètement dénué du bon sens nécessaire à la compréhension de l'absurdité de leur comportement.

Évidemment, les individus sceptiques de nature, cartésiens et pragmatiques se demanderont quelle mouche a pu piquer les huit participants au séminaire de Durham pour accepter de se soumettre à de pareilles manipulations et souffrances. Ils prétendront également qu'il faut savoir se responsabiliser et accepter les conséquences de nos gestes et décisions. À l'ère du chacun pour soi, l'argument est attirant mais il reste somme toute simpliste tout en faisant abstraction de la réalité d'être humains vulnérables qui cherchent un sens à une vie qui peut les avoir malmenés et fait souffrir.

Il  faut parfois accepter qu'une de nos responsabilités sociales et collectives consiste à protéger ceux qui se retrouvent en position de faiblesse et dont l'état de précarité pourrait attirer des vautours susceptibles d'honteusement leur infliger des supplices au nom de la croissance personnelle et d'une spiritualité épanouie.

Ceci dit, existe-t-il un devoir commun face à ces groupes de croissance personnelle? Il faut admettre que ces communautés foisonnent et qu'il y en a pour tous les goûts, croyances et horizons. Toutefois, l'existence de pratiques et de manipulations qui touchent l'intégrité physique des personnes devrait entraîner l'application de règles et de standards ainsi que l'obligation de détenir un permis. De même, une surveillance plus étroite devrait être menée à l'égard des groupes jugés suspects et il devrait exister des protocoles de collaboration entre les autorités et les organismes communautaires, comme Info-Sectes.

Il demeure que de telles initiatives pourraient se heurter à certaines libertés individuelles.

Le droit à la vie privée, la liberté d'association, de croyance et de religion sont en effet de fort beaux principes confirmés par nos lois et que devrait respecter tout règlement visant à encadrer les groupes. Mais rappelons-nous que la liberté des uns commence là où celle des autres se termine et que malheureusement, la vie de Chantal Lavigne s'est arrêtée alors que Gabrielle Fréchette exploitait, librement et impunément, sa vulnérabilité.

Je conviens donc qu'imposer un encadrement et des règles de pratique à ces groupes de croissance personnelle serait une tâche lourde et complexe et que bien assez vite, des esprits allumés trouveraient des façons de contourner les lois et de se soustraire à leurs obligations, ce qui nous conduirait collectivement vers un cul-de-sac.

Je persiste toutefois à croire qu'une sérieuse réflexion aurait sa raison d'être. Peut-être qu'à l'issue de l'exercice, nous conclurons qu'aucune forme de contrôle n'est possible et que le sort des individus qui participent à ces séminaires ne nous concerne pas. J'estime néanmoins qu'il s'agirait là d'un constat d'échec qui, dans le cas de Chantal Lavigne, fut synonyme d'une lente et douloureuse agonie et qui laisse désormais deux petits enfants orphelins de leur maman.