L'importante couverture dont le procès Shafia fait l'objet soulève des questions fondamentales sur la manière dont la violence à l'égard des femmes est qualifiée dans les médias. Dans le cas des meurtres dont sont soupçonnés les membres de la famille, les médias ont opté pour la notion de «crime d'honneur».

Certaines autorités prétendent que la notion «d'honneur» est cruciale dans la définition de cette catégorie particulière d'infractions criminelles mettant en cause les membres d'une même famille. Les victimes sont des femmes taxées d'avoir enfreint le code moral; leur meurtre permet de laver la réputation et l'honneur de la famille. La préméditation est présentée comme un élément essentiel permettant de distinguer les crimes d'honneur des autres types d'homicides, comme les crimes «d'opportunité» ou les crimes passionnels.

Cependant, des études récentes indiquent que la préméditation concerne autant les affaires de violence et les crimes familiaux que les crimes d'honneur, constatation confirmée par de nombreux chercheurs et partisans de la non-violence. Par conséquent, qu'est-ce qui distingue les crimes d'honneur des homicides entre partenaires intimes ou membres d'une même famille? Surtout, que gagne-t-on à présenter les meurtres présumés des femmes de la famille Shafia comme des «crimes d'honneur» au lieu de les qualifier tout simplement d'actes de «féminicide»?

Le fait de distinguer ces homicides et de les présenter comme des actes de violence singuliers et particuliers permet de les soustraire à un phénomène plus large: celui de plus en plus répandu du féminicide - un homicide aggravé du fait de la qualité de femme (ou de fille) de la victime. Ce terme rend compte du statut des femmes et des filles dans la société, et de leur vulnérabilité à l'égard de certaines formes de violence, dont le meurtre.

La présentation des meurtres présumés des femmes de la famille Shafia comme des «crimes d'honneur» sert deux objectifs. D'une part, celui de montrer le féminicide en tant que phénomène très marginal. D'autre part, celui de faire croire que le féminicide est un phénomène propre à certaines populations du Canada et à des cultures ou religions bien précises ailleurs dans le monde.

Si cela est vrai, les statistiques canadiennes tendent à prouver le contraire. Selon Statistique Canada, 58 femmes ont péri chaque année sous les coups de leur conjoint entre 2000 et 2009. Au cours de la même période, 67 enfants et adolescents âgés de 12 à 17 ans ont été assassinés par des membres de leur famille. À titre comparatif, des estimations récentes établissent à 12 ou 13 le nombre de «crimes d'honneur» perpétrés au Canada ces 10 dernières années. La comparaison entre ces chiffres ne sert qu'à singulariser les «crimes d'honneur», alors même qu'ils s'inscrivent dans le phénomène plus large de la violence faite aux femmes.

Plusieurs journalistes ont mentionné les origines afghanes de la famille et son adhésion à l'islam, suggérant que ces meurtres ont été motivés par des croyances culturelles et religieuses. Selon le recensement de 2006, 48 090 Canadiens sont d'origine afghane. Pourtant, les médias n'ont pu relever que cette affaire sensationnelle d'homicide familial. Si le phénomène des «crimes d'honneur» est le reflet de pratiques culturelles ou de traditions religieuses, pourquoi leur nombre n'est-il pas plus élevé?

Ces meurtres symbolisent une logique plus large et plus répandue qui montre aux femmes et aux filles ce qui les attend si elles ne se conforment pas à ce que la société et le patriarcat attendent d'elles.

Le féminicide est une question de genre; il désigne le meurtre de femmes ou de filles parce qu'elles sont de sexe féminin. La particularité de cette forme de violence tient précisément à cette notion. Elle n'a strictement rien à voir avec l'honneur, la passion ou l'opportunité.