Barack Obama a profité de son discours sur l'état de l'Union mardi soir pour se placer en mode électoral en demandant aux Américains de croire à nouveau au rêve américain, au pays comme ailleurs. On sait maintenant sur quels enjeux il croisera le fer avec le candidat républicain au cours de la campagne présentielle de l'automne: l'intervention de l'État dans le but d'assurer innovation, justice sociale, emplois, puissance et respect.

Le président américain est un grand orateur. Il y a même quelque chose de mécanique et froid dans la façon dont il livre ses allocutions. Mardi soir, il était en grande forme et un brin arrogant. Il a parlé de sujets incontournables pour un président, et surtout un président en quête d'un second mandat. L'emploi était au coeur du message, comme la place du pays dans le monde. En un tournemain, il a rivé son clou aux aspirants à l'investiture républicaine et à certains spécialistes pour qui l'Amérique est en déclin. «Ils se trompent résolument», leur a-t-il lancé.

Ce n'est pas la première fois que l'on parle du déclin américain. En 1988, l'historien Paul Kennedy avait lancé tout un débat avec son Naissance et déclin des grandes puissances où il prédisait la diminution relative de la puissance américaine. Quelques années plus tard, Bill Clinton présidait à la plus formidable expansion économique et militaire de l'histoire américaine. Pourtant, Kennedy n'avait pas tort: le poids des États-Unis diminuait, et cela même avant l'émergence combien stupéfiante de nouveaux joueurs comme la Chine, l'Inde et le Brésil, sans parler de l'Europe et du Japon.

Comme Bill Clinton, le président Obama veut faire mentir les oracles. Depuis son entrée en fonction en 2009, il a mis en oeuvre un plan qu'il veut poursuivre dans un deuxième mandat: revoir le système de taxation, relancer la consommation, investir dans l'éducation et la recherche, récompenser les entreprises qui créent des emplois dans le pays et punir celles qui les exportent, stimuler l'exploitation du gaz de schiste et des réserves de pétrole, surveiller et sanctionner les pratiques «déloyales» de la Chine. Pour Obama, l'Amérique peut demeurer numéro un comme General Motors, a-t-il dit, est redevenu le numéro un des constructeurs automobiles.

Les États-Unis, c'est vrai, ont le don de surprendre. L'expansion démographique et l'extraordinaire capacité d'innovation sont des atouts précieux pour relancer la machine économique. Pour autant, 2012 n'est pas 1988. Aujourd'hui, la situation n'est pas rose. Sur le plan personnel, les Américains s'appauvrissent.

En 1970, un patron gagnait 40 fois le salaire d'un employé au bas de l'échelle; en 2007, c'est 400 fois. En 2000, le revenu familial se situant au milieu de la répartition des revenus du pays atteignait 64 200$ (en dollars d'aujourd'hui). En 2010, la même famille gagnait 60 400$. Sur les 31 pays membres de l'OCDE, les États-Unis arrivent en 27e place en matière de justice sociale. Et que dire de la qualité des infrastructures ou de l'éducation? Ou de l'obscène budget de la défense qui, avec ses 550 milliards de dollars, talonne la sécurité sociale avec 760 milliards.

Pendant ce temps, dans le monde, de grands États s'affirment. L'Allemagne réussit à conjuguer la croissance économique, une augmentation des exportations et un meilleur équilibre des revenus familiaux. L'Inde, la Chine et le Brésil restent relativement pauvres, mais leur dynamisme soutient l'économie mondiale.

L'automne dernier, un chroniqueur du New York Times, analysant les dernières statistiques économiques et sociales, écrivait: «Nous devons lentement - et douloureusement - prendre conscience bien malgré nous que nous ne sommes plus l'Amérique de nos rêves.»

Obama a-t-il conscience de cette nouvelle réalité? Et les candidats républicains Romney, Gingrich et Santorum? Pas à les écouter, en tout cas.