L'ADQ et la CAQ ne pouvaient coexister. Selon la logique de notre mode de scrutin, deux partis trop semblables, qui convoitent le même électorat, font souvent le bonheur des adversaires! La «fusion» était donc inévitable.

Depuis un an, tous les sondages démontraient que la montée de l'hypothèse Legault a des effets négatifs sur l'électorat du PQ et du PLQ. La perte est pour le premier de l'ordre du tiers; pour le second c'est un peu moins que le quart. Bien que plus réduit en nombre, l'effet sur l'ADQ était cependant beaucoup plus massif, quasi destructeur: l'ADQ perdait presque les deux tiers de ses appuis.

Les négociations n'ont pas été d'égal à égal. Si les deux partis sont semblables, ils ne sont pas pour autant identiques. Ils sont certes nationalistes sans être souverainistes, mais François Legault a raison de ne pas utiliser spontanément l'étiquette «autonomiste»: elle n'a jamais fait boule de neige dans la population. Et si aucun des deux n'est à gauche, il est clair que l'ADQ était plus à droite que la CAQ. Au total, la droite québécoise, du moins celle qui souhaitait une réduction de la taille de l'État, vient de perdre son principal véhicule politique. Quant au nationalisme défensif, il gagne en force grâce à cette opération.

Historiquement, les fusions sont rarissimes. Le Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN) de Pierre Bourgault n'a jamais fusionné avec le groupe de René Lévesque. En 1968, lors de la dissolution du RIN, les membres ont été invités à joindre individuellement les troupes péquistes. Par contre, le Ralliement national (RN) de Gilles Grégoire a bien rejoint le Mouvement souveraineté-association pour former le PQ. L'opération a été positive: alors que le RN et le RIN n'avaient obtenu au total que 9% du vote en 1966, le PQ a obtenu 23% du vote en 1970, avant de l'emporter six ans plus tard.

Un deuxième cas souvent évoqué remonte aux années 30. L'Action libérale nationale et les conservateurs de Maurice Duplessis ont formé une alliance lors du scrutin de 1935. Ce qu'il y a de paradoxal ici, c'est que Duplessis dirigera la coalition émergente en 1936 alors qu'il avait eu moins de sièges que son allié en 1935. Électoralement, l'opération a été aussi positive puisque l'Union nationale va dominer la scène politique pendant trois décennies.

L'autre cas relève de la scène fédérale. Il s'agit du regroupement de l'Alliance canadienne et des progressistes conservateurs. Les deux partis ont mis un terme à leur existence pour créer l'actuel Parti conservateur en 2003. On connaît la suite: la nouvelle formation va prendre le pouvoir trois ans plus tard.

Ces «fusions» laissent cependant des cicatrices. Duplessis a déchiré bien des projets innovateurs de ses alliés; quelques-uns se sont sentis trahis. En 2003, certains progressistes conservateurs ne s'identifiaient pas au nouveau parti, comme Joe Clark. Et finalement, les indépendantistes ont bien vu leur message dilué et transformé, au point qu'encore aujourd'hui plusieurs s'interrogent ouvertement sur les conséquences de cette «fusion» historique.

Une fusion ou un amalgame ne se fait donc pas sans dommages collatéraux; certains joueurs voient leurs convictions transformées - parfois mises de côté - par la fusion. Dans le cas présent, il n'est pas étonnant que Claude Garcia ait rechigné, estimant que ses idées de droite étaient trop peu reprises par François Legault. Comment par exemple réagiront le réseau de Joanne Marcotte ou certaines mouvances de droite?

Le défi de François Legault est analogue à celui d'un équilibriste. Comment rallier sans que des groupes significatifs ne claquent la porte et ne veuillent créer leur propre parti? Comment absorber en douce la militance et les députés, sans par ailleurs donner l'impression d'être la continuité de l'ADQ?

La prochaine étape consistera à accueillir des péquistes et des libéraux. La coalition portera son nom pourvu qu'elle parvienne à fédérer des rivaux tout en offrant un discours cohérent. Pour François Legault, il y a là un test de leadership. S'il devait échouer, son étoile pourrait pâlir.