M. Philippe Couillard a récemment fait, devant la chambre de commerce du Montréal métropolitain, une profession de foi pour une modification de la gestion de la Santé. Il prône la dépolitisation du réseau de la santé et des décisions de gestion courante, laissant au ministère le rôle de définir de grandes orientations.

C'est une réalisation bien tardive pour un homme qui, pendant son mandat à titre de ministre de la Santé, a supervisé des dossiers politiquement explosifs, comme le CHUM, alors que les intérêts de coqs supplantaient l'argumentaire collectif, la consultation et la recherche de la meilleure solution sociale.

Peut-être a-t-il réalisé tardivement que ses actions de l'époque n'ont pas eu les effets positifs escomptés, que la partisannerie continue fait du réseau un organe gouvernemental dysfonctionnel à bien des égards.

Divers modèles de réforme ont été proposés depuis quelques années, certains appelant à un «Hydro-Québec de la santé». J'ai récemment eu l'occasion de proposer une ébauche de révision des orientations du système de Santé (www.sortie13.com). Succinctement, retenons que le système de santé souffre de maux dont les traitements déplairont à plusieurs.

Même si l'Institut national de santé publique rapportait récemment que la santé générale de la population semble s'améliorer, la réalité est qu'on en sait bien peu sur l'état réel des lieux. Combien de cas de cancer? De diabète? D'hypertension? Quel pourcentage de la population souffre de plus d'une pathologie pouvant altérer la capacité à évoluer comme citoyen ou pouvant causer le décès dans un temps plus ou moins éloigné?

Il n'existe pas de système coordonné pour répertorier les pathologies, les quantifier et en mesurer l'impact sur les individus, sur les coûts de santé, pour évaluer l'effet des traitements donnés et pour prévoir le type de soins, leur organisation et leur quantité. Et à cet égard, le Québec est loin derrière d'autres provinces qui n'ont pas de registres parfaits, mais qui en savent bien plus sur les leurs que les gestionnaires québécois.

Les mauvaises langues voudront que plusieurs dirigeants préfèrent ne pas savoir ce qui va mal en ce qui a trait à la santé des Québécois, à l'efficacité des traitements qui sont disponibles et administrés, à la qualité des actes diagnostiques utilisés sans algorithme pour évaluer les citoyens. Ne soyons pas trop cyniques. Convenons seulement que dans une ère d'information, on ne peut gérer sans savoir, catégoriser, mesurer les nombres et les effets des actes.

Le financement des lieux de soins

M. Couillard référait aussi à la nécessité de revoir le financement des hôpitaux, mais demeure vague quant à la façon de le faire. Effectivement, un coup de barre doit être porté, non seulement dans le financement, mais à prime abord dans la définition du mandat des hôpitaux.

Ceux-ci sont financés en ce moment sur la base d'un niveau historique qui est ajusté annuellement en fonction de dépassements et de modifications à la marge des activités prévues pour l'année subséquente. Ceci doit cesser. Chaque hôpital doit se voir définir, en fonction de ses effectifs et ressources, une mission intégrée dans le réseau de la santé, doit connaître la quantité de patients qu'il doit desservir, les types de soins qu'il offrira et le budget conséquent.

Autrement dit, le Ministère doit reprendre une charge qu'il a délaissée depuis longtemps, agissant actuellement plus à titre de gestionnaire de crise que de réel agent d'intervention et de bâtisseur du réseau de soins. Et ce type de mandat ne doit pas être restreint aux hôpitaux, mais à tout lieu de desserte de soins qui est financé par le gouvernement (CLSC, cliniques médicales, pharmacies, etc.).

Ne nous méprenons pas. Le système de santé a besoin de réels gestionnaires  qui doivent non seulement contrôler les sous, mais aussi être imputables de leurs actes. Je ne parle pas ici de résultats médicaux, mais de résultats en termes de productivité, de conformité, de respects des standards médicaux.

Le Ministère doit aussi centrer son action et différencier services sociaux et soins médicaux. Les soins d'hébergement relèvent principalement d'impératifs sociaux. Les conditions sociales pouvant requérir un hébergement ou d'autres ressources doivent cesser de compter sur les hôpitaux comme lieu tampon. Nombre de lits dans les hôpitaux sont occupés pour fin d'hébergement prolongé, alors que ce lieu est tout à fait mésadapté pour ces personnes. On ne peut redéfinir le mandat des hôpitaux sans prévoir un réseau social cohésif, responsable et imputable, et qui ne pourra simplement se décharger sur le réseau de la santé pour accomplir sa tâche. Il faut concevoir l'hébergement en le démédicalisant plutôt que le définir comme un prolongement d'actes médicaux.

Le système de santé québécois s'est formé sur des valeurs  sociales d'universalité, d'accessibilité et de gratuité il y a maintenant une cinquantaine d'années. Depuis, certains acteurs continuent d'y intervenir et agir selon des valeurs qui ne se sont pas adaptées aux données nouvelles visant la spécialisation, l'efficience et la capacité d'adaptation constante.

Les Castonguay, Rochon, Fortin et émules doivent laisser la main. On constate nettement que leurs vision et actions ont de sérieuses limites, que la «rediscussion» constante du budget et des résultats du système de santé fait en sorte que les thèses utilitaristes qui sous-tendent les dépenses de santé doivent être élargies, s'ouvrir sur de nouveaux concepts et obliger la population à une acceptation de la priorisation de certains objectifs de santé aux dépens d'autres.

Les dogmes utilisés par plusieurs acteurs politiques ne sont généralement pas soutenus par des états de preuve suffisants pour mener une barque aussi grande, aussi coûteuse. Un département d'état, capable dans ses moyens, imputable quant à ses résultats, offrirait, de fait, un potentiel supérieur à la gestion à court terme qui est généralement l'apanage de politiciens en constant mode électoral. Il est grand temps de réellement dépolitiser la santé... sans laisser la place à des consultants aux antécédents politiques.