Vingt-deux ans après la tuerie à l'École Polytechnique, il est inconcevable que ses victimes et ses témoins tels que moi doivent encore mener une lutte pour la défense du contrôle des armes.

Nous nous retrouvons aujourd'hui à militer non seulement pour le registre des armes d'épaule - la partie controversée de la loi - mais également pour une série d'autres mesures qui n'avaient jamais été sérieusement remises en question par nos adversaires.

Par exemple, le projet de loi C-19, que les conservateurs s'apprêtent à faire adopter, éliminerait l'obligation pour toute personne qui vend ou transfère une arme d'épaule de vérifier si son nouveau propriétaire détient un permis de possession valide. Il suffit que le vendeur «n'ait aucun motif de croire que le cessionnaire n'est pas autorisé à acquérir et à posséder une telle arme à feu». La police sera impuissante si elle arrête quelqu'un qui a vendu une arme à un individu sans permis, car il lui serait impossible de prouver ce que le vendeur croyait, ou ne croyait pas.

Or, dès 2006, le gouvernement conservateur avait reconnu l'importance de la validation des permis, soulignant que «cette mesure aidera à s'assurer que les armes n'aboutissent pas dans les mains d'individus qui ne devraient pas y avoir accès, comme des criminels reconnus.»

Pire, cette nouvelle disposition minera tout le processus de sécurité entourant l'accès aux permis de port d'arme, qu'il s'agisse des enquêtes communautaires, des références de proches et de l'employeur, de la notification de l'époux ou de l'ex-époux, ou du cours de maniement sécuritaire des armes. Pourquoi se soumettre à toutes ces précautions s'il est possible, en vertu de la loi et de la crédulité de certains commerçants, d'acheter une arme sans montrer de permis?

De plus, la législation favoriserait d'autant plus ce genre de transfert clandestin qu'elle éliminerait l'obligation des marchands à tenir un registre des ventes, ainsi que celle des propriétaires à rapporter des ventes privées.

Le but semble être d'éliminer toute trace potentielle de transactions d'armes d'épaule, ce qui ouvre grande la porte au marché noir.

Même si un vendeur décidait de valider un permis auprès du contrôleur des armes à feu, la loi interdirait à ce dernier de garder quelque note que ce soit concernant cette demande! Les conservateurs avaient pourtant appuyé les registres des ventes auparavant. Puisque le gouvernement n'a jamais mis à jour la classification de nombreuses armes à caractère militaire récemment introduites sur le marché, on retrouve parmi les 7 millions d'armes non restreintes des armes comme le Ruger mini-14 (utilisé lors du massacre de Polytechnique et il y a quelques mois pour tuer 69 jeunes en Norvège), le Outlaw et le Steyr HS. En plus des carabines et des fusils de chasse, ces armes d'assaut deviendront elles aussi invisibles aux yeux de la police et pourront, grâce au projet de loi C 19, être vendues à quiconque sans laisser de traces.

L'affaiblissement de ces dispositions va bien au-delà de la cible énoncée du gouvernement Harper: le registre des armes d'épaule. Les conservateurs tentent de mener à terme cette véritable catastrophe pour la sécurité publique de manière indirecte et sournoise, tout en répétant leurs indécentes professions de foi publiques envers les mêmes mesures qu'ils s'apprêtent à éliminer.

En ce 22e anniversaire de la tuerie à Polytechnique, prenons le temps de poser un geste concret. Faisons appel à la décence des sénateurs conservateurs, qui peuvent encore se dresser contre cette loi. Faisons appel au gouvernement du Québec, qui n'a toujours pas confirmé qu'il déposera une demande d'injonction pour sauver les données du registre, malgré la promesse du premier ministre Charest de considérer «tous les moyens» pour préserver ces informations.

Il est peut-être minuit moins une, mais il n'est pas trop tard.