À l'approche des Fêtes, je suis surpris de constater l'incertitude et l'inquiétude qui entourent les enjeux éthiques de notre quotidien.

À titre d'exemple, l'employé qui me consulte pour savoir s'il doit déclarer la carte de Noël reçu d'un fournisseur... Je lui réponds, avec un brin d'humour, «Ça dépend s'il y a un billet de 100$ à l'intérieur» ! Ou encore l'employé qui ne comprend pas la logique de retourner une jarre de confiture offerte par une grand-mère en témoignage de sa satisfaction pour un bon service. Récemment, un dirigeant d'une firme d'ingénierie m'avouait en perdre le sommeil puisqu'il y a moins d'un mois, il invitait, en toute simplicité et sans arrière-pensée, son ami Robert au restaurant. Or, ce dernier travaille pour une société d'État où toute activité, repas et cadeau est interdit.

La remise d'un cadeau peut être interprétée de différentes manières par la personne qui l'offre, par celle qui le reçoit et celle qui le perçoit. J'avais 8 ans et c'était un matin de décembre. Un jeune homme sonna à la porte et nous livra un énorme panier d'oranges et de pamplemousses. Un client de mon père le remerciait pour ses bons services. Ma soeur et moi étions tellement fiers de notre père. Nous nous disions, «Oh! Qu'il doit être bon et apprécié notre papa pour recevoir un tel cadeau!» La réaction de ma mère fut tout à l'opposé... Sachant que le client était plutôt une «cliente», elle s'exclama «Qu'est-ce qu'elle a derrière la tête, celle-là?». Il est difficile de gérer les perceptions.

Il y a 10 ans, la plupart des gens, dans la vie de tous les jours, voyaient davantage de bonnes intentions que de mauvaises. Aujourd'hui, le Québec est plongé dans une crise de confiance sans précédent. Les citoyens sont persuadés que les politiciens, hommes d'affaires et professionnels leur cachent des choses. Tout cadeau devient suspect, quelle qu'en soit la valeur.

La véritable question est de savoir si un avantage reçu est de nature à fausser votre jugement et votre impartialité. Vous faire payer un club sandwich par un fournisseur entache-t-il votre impartialité? Un élu municipal perd-il son jugement pour avoir bu un verre de vin lors d'un cocktail financé par une firme d'ingénierie? C'est du moins la paranoïa dans laquelle se retrouve plongé le Québec par les temps qui courent.

La société québécoise a été trop longtemps un large buffet à volonté où complaisance, conflits d'intérêts et même collusion étaient acceptés ou, du moins, tolérés. Nombreux étaient les cabinets qui encourageaient sans gêne leurs professionnels ou employés à financer les partis politiques... Cependant, du jour au lendemain, les Québécois remettent en question toutes ces pratiques, même les plus anodines.

Si bien que nous risquons de devenir «anti-éthique» à vouloir être «trop éthique». L'objectif ne doit pas être de bannir toutes les relations humaines: ce qu'il faut, c'est davantage de transparence, et surtout de crédibilité. Les extrêmes ne sont pas bons, les gens ont besoin de comprendre pourquoi un cadeau, un repas ou une activité est interdit. D'ailleurs, le mot «éthique» vient du mot grec «ethos», qui signifie «manière de vivre ensemble». Cela devrait être agréable et non contraignant.

En cette période où le moindre faux pas risque d'entraîner notre perte, il faut du courage pour afficher publiquement que l'on accepte une invitation à une partie de hockey de la part d'une firme d'ingénierie. Peut-être que ce courage viendra du maire de Québec, car après tout, le nouvel amphithéâtre risque d'être passablement vide s'il devient impossible d'inviter des fonctionnaires! Joyeux Noël en toute frugalité.