L'auteure est la mère de Sarah-Dominique Blanchet, tuée par un conducteur en état d'ébriété en 2008. Elle adresse sa lettre aux juges François Doyon, André Brossard et Nicholas Kasirer, de la Cour d'appel du Québec.

Le 25 avril 2008, Sarah-Dominique Blanchet était immobilisée à un feu rouge quand sa voiture a été violemment emboutie par un camion Dakota dont le conducteur, Yvan Paré, était en état d'ébriété. Aucune trace de freinage n'a été relevée sur les lieux. Sous la force de l'impact, la voiture de la jeune femme a été propulsée sur un autre véhicule arrêté de l'autre côté de l'intersection.

À l'arrivée des policiers, Yvan Paré s'inquiétait d'avoir perdu son porte-monnaie. Quand un policier lui a conseillé de s'inquiéter plutôt pour la conductrice du véhicule, il s'est mis à rire. Au poste de police, il a prétendu que c'était la conductrice de l'autre véhicule, une Ford Focus, qui était passée sur le feu rouge. Il a déclaré aux policiers: «J'ai signé aujourd'hui un contrat de 54 000$, fait que peu importe ce qui se passe, c'est une «estie» de belle journée.»

Les tests d'alcoolémie prélevés ont révélé une teneur de 165 et 160 mg par 100 ml de sang, soit plus de deux fois le taux permis.

Sarah-Dominique Blanchet a subi un traumatisme crânien sévère provoquant un important oedème cérébral qui l'a plongée dans le coma. Elle a dû subir une intervention chirurgicale visant à soulager l'hypertension intracrânienne. Malgré tous ces efforts, elle est morte des suites de ses blessures, 17 jours plus tard.

Sarah-Dominique avait 22 ans. C'était ma fille.

Des accusations de conduite avec facultés affaiblies ayant causé la mort et conduite dangereuse ayant causé la mort ont été portées contre Yvan Paré qui, devant les preuves accablantes, a finalement enregistré un plaidoyer de culpabilité le 15 octobre 2009.

Les représentations sur sentence ont eu lieu devant le juge André Plante. La poursuite a réclamé 5 ans de prison afin de valoriser les objectifs de dissuasion générale et de dénonciation, de mettre un terme à la banalisation de ce genre d'infractions criminelles, et surtout, de combattre la perception erronée encore entretenue par le public, qu'il s'agit d'un accident plutôt que d'un acte criminel.

Le procureur de la Couronne, Daniel Bélanger, a soumis plusieurs décisions démontrant que même si l'accusé était sans antécédents judiciaires et offrait des possibilités de réinsertion sociale ou de réhabilitation élevées, des peines de prison fermes et sévères, exemplaires et dissuasives, avaient été néanmoins imposées par d'autres tribunaux.

De son côté, la défense a plaidé pour une peine variant entre 18 mois et 2 ans moins un jour d'emprisonnement, compte tenu des facteurs atténuants: Yvan Paré n'avait pas d'antécédents judiciaires et son dossier de conduite automobile ne mentionnait pas de perte de points de démérite. Il avait aussi rédigé une lettre dans laquelle il mentionnait notamment: «Le prix que je vais payer est tellement minime à côté de ce que j'ai fait...»

Le juge Plante a condamné Yvan Paré à 5 ans d'emprisonnement, le 29 octobre 2010. Le tribunal a aussi rendu une ordonnance d'interdiction de conduire tout véhicule moteur pendant 10 ans.

Un mois plus tard, Yvan Paré portait ce jugement en appel. La cause a été entendue par la Cour d'appel le 9 septembre dernier. Les trois juges ont accepté de réduire la peine à trois ans de pénitencier. De plus, la durée de l'interdiction de conduire a été réduite de 10 à 6 ans.

Messieurs les juges Doyon, Brossard et Kasirer, votre décision a définitivement sapé le message du législateur qui réclamait une sévérité accrue lors de l'imposition de la peine imposée à Yvan Paré afin de dénoncer le fléau que constitue l'alcool au volant.

Malgré toutes les campagnes de sensibilisation et de publicité, il y aura toujours des individus irresponsables qui choisiront, comme Yvan Paré, de conduire leur véhicule alors que leur capacité est affaiblie par l'alcool. Ce faisant, ils mettront en danger la sécurité de leurs concitoyens. Plusieurs d'entre eux, comme Yvan Paré, ne seront pas déjà criminalisés. Comme lui, ils reconnaîtront leurs torts et leur réhabilitation semblera assurée.

Il n'en demeure pas moins que conduire en état d'ébriété, c'est criminel. Qu'enlever la vie d'une autre personne, c'est criminel. Selon la loi, la gravité objective des infractions auxquelles Yvan Paré a reconnu sa culpabilité le rendait passible d'un emprisonnement maximal de 14 ans dans le cas de l'infraction de conduite dangereuse causant la mort et d'un emprisonnement à perpétuité dans le cas de l'infraction de conduite avec capacités affaiblies causant la mort.

Sachant cela, comment pouvez-vous affirmer en votre âme et conscience que la peine de 5 ans imposée à Yvan Paré est «nettement déraisonnable» ?

Vous osez dire que vous éprouvez «beaucoup d'empathie envers la famille de la victime» et, du même souffle, vous déclarez que même la peine de trois ans est sévère! Vous déclarez que le juge Plante a commis une erreur de droit qui l'a conduit à accorder un poids indu aux circonstances aggravantes par rapport à celui des circonstances atténuantes. «Même s'il a mentionné la présence de facteurs atténuants, il a mis l'accent exclusivement sur la gravité des infractions». Dans le poids de votre balance, il m'apparaît clairement que les facteurs aggravants ne pèsent pas lourd.

Pourtant, Yvan Paré a choisi de conduire son camion alors que sa capacité de conduire était affaiblie par l'alcool.

Il a pris le risque de mettre en danger la sécurité des usagers de la route, malgré le fait qu'il ait déjà été membre d'organisme tel que Tolérance zéro et bénévole de Nez Rouge.

Sa conduite erratique a été décrite comme étant dangereuse par des témoins qui l'ont vu effectuer des changements de voie et empiéter sur la voie inverse.

Il circulait à une vitesse estimée à 120 km/heure sur une artère où la vitesse permise n'est que de 70 km/heure.

Son taux d'alcoolémie était deux fois plus élevé que la limite permise par la loi.

Après la collision, il s'est montré insensible à la situation de Sarah-Dominique et se réjouissait, malgré la situation, de l'obtention d'un contrat.

Il a tenté d'induire les policiers en erreur à deux reprises en imputant la responsabilité de la collision à Sarah-Dominique.

À 38 ans, Yvan Paré ne pouvait pas plaider l'étourderie de la jeunesse.

Bien sûr, il a plaidé coupable aux accusations. Mais la preuve était tellement accablante que son plaidoyer n'a qu'une valeur relative.

Bien sûr, il a écrit cette lettre dans laquelle il exprimait des remords. Mais dans les circonstances, pouvait-il en être autrement?

Messieurs les juges, vous n'étiez pas au chevet de Sarah-Dominique pendant les 17 jours où elle a été hospitalisée. Moi j'y étais. Vous n'avez pas été témoin de ses souffrances et de ses derniers instants, avant qu'elle ne rende l'âme. Vous ne savez rien de la douleur que j'ai éprouvée en voyant les larmes qui coulaient sur les joues de ma fille pendant que je lui confiais tout mon amour.

La mort tragique de Sarah-Dominique a creusé un vide insondable dans ma vie. Elle a bouleversé la vie de notre famille et celle de ses amis. Son départ a été une perte pour ses professeurs qui voyaient en elle une étudiante vouée à un brillant avenir et ses collègues de travail qui appréciaient son entrain et son dévouement. La mort de Sarah-Dominique a aussi été une perte pour la société.

Messieurs les juges, vous aviez le pouvoir de maintenir la sentence dissuasive imposée par le juge André Plante. Vous ne l'avez pas fait et ce faisant, vous avez bafoué la mémoire de ma fille et celle de toutes les autres victimes qui ont perdu la vie parce que des honnêtes citoyens, comme Yvan Paré, ont fait preuve d'insouciance, de désinvolture et de négligence criminelle en prenant le volant alors que leurs facultés étaient affaiblies par l'alcool.