Les auteurs sont un jeune couple montréalais qui réside à Oakland, en Californie. Médecin, Mme Delisle travaille dans une clinique à but non lucratif pour défavorisés. Détenteur d'un doctorat en biologie, M. Tremblay effectue un stage postdoctoral au Département américain de l'énergie.

Pourquoi le courant de révolte Occupy Wall Street a-t-il pris autant d'ampleur chez nos voisins du Sud, si peu enclins à manifester dans la rue en temps normal?

Notre première impression de la Californie a été plutôt positive; c'est la Californie après tout! Après quelque temps, il est cependant devenu évident que, sous son vernis ensoleillé, cet État cache une troublante réalité.

Nous sommes deux expatriés sous le choc: itinérance omniprésente, relents de ségrégation raciale, frais de garderie exorbitants (près de 1500$/mois par enfant), accès à l'éducation prohibitif pour la classe moyenne, congé de maternité minable et aucune garantie d'emploi (même pour les médecins).

Au travail, je soigne des patients sans assurance santé avec les moyens du bord. L'État offre un petit filet social fait en peau de chagrin. Récemment, un patient m'a demandé : «Si je n'ai pas assez d'argent cette semaine, est-ce que je devrais acheter les médicaments pour mon asthme ou ceux pour mon diabète?» On m'a déjà posé cette question par le passé, mais j'effectuais alors en stage de médecine humanitaire... au Mali.

La pauvreté du réseau social est donc criante et la richesse du 1% est flagrante. Selon Statistique Canada, chez nous aussi, il existe bel et bien une tendance où les plus riches travaillent de moins en moins d'heures et voient leurs revenus constamment augmenter. La majorité travaille toujours plus d'heures avec moins d'avantages sociaux, des fonds de retraite déficitaires et des stagnations salariales. L'argent est bien là, mais elle se concentre dans les mains d'un groupe minoritaire.

Mais au fond, que veulent ces manifestants? Tout simplement une chance de s'en sortir. Ils veulent ce que nous avons la chance d'avoir au Québec: une bonne éducation, des soins de santé de qualité et d'autres mesures sociales accessibles à tous.

Notre séjour aux États-Unis nous fait brutalement prendre conscience des luttes acharnées qu'ont faites les générations qui nous ont précédés au Québec. Nous sommes fiers des valeurs qui nous ont été transmises. Elles pourraient se résumer à une phrase: le souci du bien-être de l'autre. Nous voyons ici l'impact de la privatisation massive sur le bien-être social. Cela ressemble à de l'égoïsme collectif.

Ces politiques du «chacun pour soi» ne sont pas pour nous. Oui, le réseau public québécois a des lacunes, mais il faut continuer de le soutenir. Il faut exiger des soins accessibles pour tous et dire non à la privatisation du système de santé. Il est crucial que les étudiants aillent manifester en grand nombre contre les récentes hausses des droits de scolarité. Les parents doivent réclamer plus de garderies à 7$. Mais encore plus important, les gens doivent s'intéresser de nouveau à la politique, se tenir informer des décisions qui sont prises en leur nom et voter.

Dans un avenir pas si lointain, nous allons revenir dans la Belle Province. Nos salaires américains serviront à rembourser nos dettes et subventionner mon congé de maternité. À notre retour, nous serons dans la tranche des travailleurs les plus imposés. Nous paierons chaque dollar avec fierté parce qu'ils servent à éduquer, soigner et supporter notre société. Battons-nous pour nos programmes sociaux parce que la solidarité nous caractérise.