Nous vous félicitons, et nous nous félicitons surtout, du lancement de la commission d'enquête sur la construction sous votre présidence. Ça n'aurait pu arriver trop tôt car les événements de l'industrie de la construction se sont multipliés depuis des années et nous ne pouvons plus continuer à ignorer les questions qu'ils soulèvent sur la gouvernance de notre société et sur notre avenir.

Nous vivons quotidiennement avec les manifestations de la crise de la construction. Des quartiers entiers sont pris en otage par des travaux de réfection qui durent parfois des années. Nous subissons sans explications claires l'absurdité des compteurs d'eau, le délabrement extrême des routes, l'effondrement de ponts et de tunnels et les interférences des entrepreneurs de la construction dans notre pouvoir politique, maintes fois décriées publiquement par des responsables informés.

Après les tergiversations des deux dernières années, nous sommes devenus très sceptiques du sérieux du pouvoir à vouloir régler la situation. Nous sommes en droit de nous demander si l'attribution des contrats se fait toujours aux entrepreneurs les plus qualifiés, si les budgets alloués sont raisonnables. Et si l'on se compare à d'autres villes, les délais des travaux sont-ils raisonnables ou bien causent-ils des gonflements artificiels de budgets? Y a-t-il collusion entre les entrepreneurs de la construction pour fixer les prix des matériaux et des services exagérément à la hausse? Sinon, est-ce tout simplement de la corruption politique et des contributions illicites? des bakchich? ou plus dangereux encore, s'agit-il de menaces physiques et de banditisme? S'il ne s'agissait pas de corruption généralisée, serait-ce simplement l'appareil de l'État qui n'a plus la capacité de planifier et de poser des jugements techniques - et de bon sens - sur la faisabilité des grands projets? Si tel est le cas, comment expliquer l'accroissement prodigieux des coûts salariaux et de consultants?

Vous comprenez que quelle que soit la façon d'envisager cette quadrature du cercle, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Et les conséquences vont au-delà de la simple qualité de vie quotidienne des Québécois. Derrière tous ces symptômes de corruption et d'inefficacité, nous nous inquiétons pour nos vies aussi bien que sur notre appareil étatique atrophié dans des domaines essentiels à notre avenir comme la santé, l'éducation scolaire et universitaire, les politiques sociales et l'innovation et la science, qui ont tous des besoins criants d'investissements aussi.

Le premier ministre ne voulait peut-être pas de cette commission et tente constamment de limiter ses moyens d'agir. Possiblement que beaucoup de responsables politiques et de bureaucrates se sentent visés et craignent la réussite de votre commission. Nous nous attendons à ce que la commission pose un regard critique sur la gestion des affaires liées à la construction et qu'elle propose des recommandations de réformes - aussi drastiques qu'il le faut.

Pour nous, les travaux de la commission font partie d'une démarche sociétale et nous insistons sur la transparence dans les travaux de la commission; nous espérons qu'elle établira une communication ouverte et actuelle, avec une diffusion continue d'information et la publication du programme de travail et des procès verbaux de témoignages publics ainsi que des points de presse réguliers. Il est hors de question pour nous d'attendre deux ans pour les premières recommandations.

Plus important encore, nous espérons et insistons pour que l'équipe de travail que vous choisirez soit représentative de la diversité et la richesse des jeunes générations du Québec. Profitons de cette occasion pour amener une créativité et une expertise plus jeune dans l'approche et la formulation des recommandations.

Une approche ouverte est essentielle pour véritablement impliquer le public - nous - dans l'orientation des travaux et surtout dans leur conclusion; nous ne voulons plus être spectateurs de nos choix d'avenir mais participer au débat et à la réforme de l'État, au service des générations futures et non seulement pour la protection des privilèges des générations passées.

* La lettre est cosignée par Mouna Andraos, Fady Atallah, Sandra Bagaria, Pascal Beauchesne, Jonathan Belisle, Stéphanie Boulenger, Jacqueline Bui, Micheline Clouard, Emilie Grenier, Pat LaCroix, Sarah Levesque, Patrick Minotti, Hugues Monfroy, Stéphane Moukarzel, Melissa Perrotte, Patrick Paul-Hus, Celine Semaan, Martine St-Victor, Sophie Tarnowska, Elise de Blois, Emile Corvellec, Patrice LaCroix, Colin Vernon, Jean-Christophe Yacono, Monik Paskal Potvin.