Vous êtes des pères et des mères de famille.



Vous faites buriner vos objets de valeur et aimez pouvoir retracer vos bijoux volés. Vous admettez l'importance des cours de conduite automobile et du contrôle de l'alcool au volant. Quand vous renouvelez vos immatriculations de véhicule, vous ne vous sentez pas considéré comme un criminel.

Quand votre médecin personnel vous avertit que vous consommez trop de gras, vous l'écoutez. Vous ne remettez pas sa science en question parce que vous préférez consommer un sac de chips. Quand un jouet dangereux menace la santé des enfants, vous intervenez.

Sauf si ce jouet est une arme à feu: de la simple carabine au fusil semi-automatique de sniper, subitement, vous restez les bras croisés.

Contre les faits établis et vérifiés, contre les criminalistes et les policiers, vous évoquez un «désir de liberté», ou un «sentiment d'être traité comme un criminel». Bref, tout comme pour le formulaire long du recensement et les peines de prison durcies, à la science, à la raison et aux faits, vous opposez une émotion, un «feeling».

Ce «feeling» a été cultivé par la propagande des fabricants d'armes. Aidés de puissantes associations américaines, ils veulent protéger les milliards de dollars de marché annuel de vente d'armes, d'étuis et de munitions au Canada. Ils font appel aux mêmes ressorts usés, désir de liberté mêlée de paranoïa et de haine de l'autre, tout en flattant l'orgueil du vigilante qui dort en nous. (Et en entretenant la confusion entre une "interdiction" de posséder des armes et un contrôle.)

Si, au moins, votre gouvernement proposait une alternative viable... mais non.

Rien.

Aucune limite à l'acquisition d'armes par un individu. Pas même le burinage obligatoire des armes ou une puce GPS intégrée.

À croire que vous attendez le Messie.

Je ne peux pas vous empêcher de commettre cet autodafé. Vous avez vu la Lumière et la raison ne vous fera pas conserver au moins le registre des armes d'assaut semi-automatiques, telles que celle utilisée pour le massacre à mon école en décembre 1989 et plusieurs actes similaires de vengeance, exercée par un «law-abiding citizen» frustré, déprimé ou confus.

Dans sa vision religieuse du Bien luttant contre le Mal, votre gouvernement va paradoxalement faciliter la vie aux criminels. Ceux-ci pourront voler les armes légitimes, ou en acheter eux-mêmes pour en faire le trafic, sans qu'on puisse les retracer. (Oups! Scusez, on m'a volé mon arme!)

De plus, le climat de peur va forcer des gens autrement très gentils à s'armer pour se défendre... et à tirer avant de poser des questions.

Conjugué avec vos peines de prisons durcies et vos coupures de service social, l'effacement du registre va contribuer à faire éclore toute une «petite» criminalité, celle contre laquelle vous sortirez vos gros canons.

«Petite» criminalité, car elle sera le fait de pauvres gens découragés et privés d'avenir. Leurs accès de violence ou d'autodestruction agrémentera la lecture des journaux à sensation tout en faisant rouler notre coûteux système de justice, avec tous ceux qui en vivent.

Des armes qu'on achète aussi aisément qu'une boîte de chocolats, des prisons remplies à craquer, des hôpitaux bien occupés avec les blessés en surnombre compléteront cette florissante économie.

Et la «grande» criminalité, la cupidité organisée profondément incrustée dans nos institutions et la finance? Votre silence est éloquent.

Vous avez bouclé la boucle, effacé d'un trait de plume mes centaines d'heures de bénévolat, et le travail de milliers de citoyens, tout aussi épris de loi et d'ordre que vous, accompli depuis le 6 décembre 1989.

Mais peut-être que vous recherchez, sans vous l'avouer, une certaine frénésie, le bruit et la fureur des armes dans les quartiers «chauds», ces faits divers nés de la misère... Tant que les étincelles retombent loin de vous.

J'espère que ce n'est pas le cas.