Se rendre au bureau en vélo, en plein centre-ville, est une activité risquée mais amusante; une espèce de jeu vidéo géant. Rien à voir avec Amsterdam où tout se fait dans l'ordre et la civilité.

Il y a les trous, les bosses, les taxis qui coupent, les automobilistes parfois agressifs. Rien à voir non plus avec les routes bucoliques du Vermont ou de Cape Cod où les automobilistes vous contournent pour empiéter totalement dans la voie inverse. Même là, je mets mon casque parce que plus on roule, plus on multiplie les expériences et les bobos: un écureuil qui se coince dans votre roue arrière, une dinde sauvage qui traverse la route, un camion qui ne vous a pas vu.

L'autre matin, je roule tranquillement vers le bureau. La pente, que je connais bien, est abrupte. Je la descends. Il n'y a aucune urgence. Je ne suis pas en retard. Il fait soleil. Puis j'entends clic et je sens que ça tire à l'arrière. Quelque chose s'est brisé dans ma roue arrière. Je sais que ça va faire mal. J'ai juste le temps de baisser la tête pour ne pas me fracturer la mâchoire. Je passe par-dessus le vélo. J'atterris sur la tête. Courte perte de conscience. De bons samaritains me viennent en aide et appellent les services d'urgence. L'ambulancier, très professionnel, s'empresse de couper la courroie de mon casque pour que personne ne l'utilise à nouveau. Il est fendu.

Une des premières questions au service de traumatologie de l'Hôpital général de Montréal: aviez-vous un casque? J'imagine leur travail: de jeunes étudiants, des touristes ébahis, de grands messieurs qui leur sont amenés, ensanglantés, avec des fractures du crâne en prime quand ce n'est pas plus. Plusieurs traitements, de l'angoisse, une longue réhabilitation.

Je n'ai pas coûté cher à la société: cinq heures à l'urgence, le temps qu'on me tourne à l'endroit et à l'envers, qu'on examine chaque pouce de mon torse, de mon dos et de ma tête. Une efficacité peu commune. Verdict: fracture quelque part autour de la clavicule et de l'acromion. Une petite commotion cérébrale dont les effets ont duré sept jours.

Depuis mon accident, je porte davantage attention à ceux qui ne portent pas leur casque. À vue d'oeil, un cycliste sur trois. Le cas des BIXI est particulier: le port du casque est exceptionnel. Il me semble que nous avons une responsabilité individuelle et collective de nous mettre un casque sur la tête. Les mentalités changent lentement, mais quand on a un mari et des enfants, ça vient plus vite.

Malheureusement, on croit trop souvent qu'à 15 km/h, il ne se passera rien.

Or, c'est la vitesse à laquelle j'allais quand j'ai chuté et ça cogné comme si quelqu'un m'avait frappé avec un bâton de baseball. Les policiers remettent des contraventions, à bon droit, parce que certaines personnes roulent avec leur casque d'écoute sur les oreilles et pourtant, on ne veut pas forcer, par voie législative, les gens à porter le casque; cherchez l'erreur.

J'ai été bien chanceuse; une auto aurait pu me heurter en plus. Mais ne comptez pas uniquement sur la chance. Les patients qui entraient après moi au centre de traumatologie, au fur et à mesure que la journée avançait, avaient clairement eu moins de chance.

Dans ma jeunesse, je trouvais ça très mignon, une casquette Campagnolo, jusqu'à ce que la policière avec laquelle je travaillais me raconte un matin qu'elle venait de constater le décès d'un beau jeune homme de 24 ans qui était passé par-dessus une portière d'auto. Il était à vélo, sans casque. Mort sur le coup.