Historiquement, les jurys ont plus souvent accepté la défense d'aliénation mentale pour les mères que pour les pères.    

Les procès des parents meurtriers ont toujours suscité beaucoup d'émoi au Québec, mais rarement a-t-on vu un verdict aussi controversé que celui rendu dans le cas du docteur Guy Turcotte. Pour mieux comprendre cette affaire, il peut être utile de la replacer dans l'histoire du filicide, soit l'homicide d'un enfant  par ses parents.

Dans la province de Québec, au cours de la période qui va de 1775 à 1965, parmi les 157 parents impliqués dans des affaires de filicide, on constate que les femmes étaient plus nombreuses que les hommes: 91 en regard de 66. Pour l'époque actuelle, une autre étude révèle que les filicides commis de 1997 à 2007 le sont plus souvent par des hommes: 40 sur un total de 68. Comment expliquer un changement aussi radical? En partie par un facteur qui apparaît en 1947: la séparation conjugale. À partir de cette date jusqu'en 1965, quatre pères et une mère tuent un ou plusieurs de leurs enfants dans de telles circonstances, le plus souvent en exprimant un désir de vengeance contre le conjoint. Depuis lors, la société québécoise a connu des changements majeurs: présence accrue des femmes mariées sur le marché du travail, libération sexuelle et fréquence plus grande de l'union libre, augmentation des divorces. Tout cela force les hommes à une remise en question des rôles traditionnels, vécue avec peine par certains d'entre eux. Faut-il s'étonner qu'ils soient devenus plus nombreux que les femmes à tuer leurs enfants et, qu'en nombre absolu, ils le fassent 3,5 fois plus souvent qu'elles dans un contexte de séparation de couple? La situation du docteur Turcotte est représentative de ces transformations sociales et de ces statistiques.

La question de la maladie mentale a également occupé une place centrale dans ce fameux procès. Dans les cas de filicide, cette excuse a toujours été acceptée plus facilement pour les femmes. Ainsi, de 1775 à 1965, 36% d'entre elles contre 25% des hommes ont été psychiatrisés au lieu d'être condamnés. Entre 1997 et 2007, c'est 35,7% des femmes (10 sur 28)  et seulement 10% des hommes filicides (4 sur 40) que l'on a déclarés non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux. L'écart s'est donc accru, ce qui rend d'autant plus surprenant le verdict dont a bénéficié le docteur Turcotte. Ajoutons qu'avant 1966, le diagnostic de dépression nerveuse ou de mélancolie s'appliquait plus souvent aux femmes (33%) qu'aux hommes (12%). Dans les années 1950 et 1960 en particulier, même quand une femme filicide avouait s'être impatientée des cris de son bébé, ou quand les circonstances révélaient ses intentions vengeresses, des psychiatres les présentaient comme des malades mentaux parce qu'ils trouvaient leur geste meurtrier incompatible avec la puissance naturelle de l'amour maternel. Le même argument a été repris par les défenseurs de Guy Turcotte avec le résultat que l'on sait.

Le verdict rendu dans cette affaire restera-t-il un cas isolé, attribuable uniquement à l'habilité d'un avocat? Ou faut-il s'attendre à ce que les jurys acceptent maintenant la défense basée sur les troubles mentaux aussi souvent pour les hommes que pour les femmes, dans les cas de filicide tout au moins? Seul l'avenir permettra de le savoir.