Dix ans après les tragiques événements du 11 septembre 2001, on peut faire quelques constats.

Premièrement, ces événements ont servi à justifier un déploiement militaire américain sans précédent. Dans un article saisissant intitulé The Thirty-Year Itch datant de 2003, Robert Dreyfuss, de la revue Mother Jones, a montré comment l'invasion de l'Afghanistan et celle de l'Irak ont constitué le point culminant d'une stratégie de longue haleine. Pensée dans les années 70 par les «faucons», elle a atteint un autre niveau à la faveur des événements du 11 septembre 2001, quand ses promoteurs étaient en poste à la Maison-Blanche.

Les bases américaines, presque absentes du grand Moyen-Orient il y a quelques décennies, quadrillaient l'ensemble de la région en 2003, permettant le contrôle total des ressources pétrolières. La mise en place de régimes vassaux en Irak et en Afghanistan devenait nécessaire à la consolidation de cette stratégie.

On se souviendra que les talibans pourchassés en Afghanistan étaient les anciens alliés des Américains, et que les armes de destruction massive de Saddam Hussein et ses liens supposés avec la nébuleuse terroriste Al-Qaïda étaient de fausses allégations visant à justifier les interventions militaires. On connaît le résultat: selon les estimations les plus prudentes, il y a eu plus de 19 000 morts en Afghanistan, et plus de 900 000 morts en Irak, dont 800 000 civils.

Ces événements ont causé une grande polarisation dans les sociétés arabes et musulmanes. De nombreux gouvernements qui étaient auparavant hostiles aux Américains se sont ralliés à la stratégie de la guerre à la terreur. Elle leur fournissait l'excuse pour réclamer une «rente sécuritaire» de la part des pays occidentaux, c'est-à-dire des bénéfices monétaires directs perçus d'une part pour servir à la répression de la mouvance djihadiste, et d'autre part pour financer des programmes de développement visant à restreindre l'emprise de cette mouvance et à éviter la radicalisation des jeunes.

Du côté des sociétés, l'impact de la guerre à la terreur est plus difficile à cerner. Les courants hostiles à l'Occident et à ses valeurs se sont radicalisés et renforcés. Mais il y a eu aussi une réaction de rejet de la violence, qui a pris deux formes. La première a été une réaction de déni: «Il n'est pas possible que certains des nôtres aient commis cet affreux crime». Les théories du complot les plus farfelues comme les plus raisonnées ont alors fleuri, nourries par les stratégies de guerres clandestines menées par les puissances dominantes et par les questions importantes restées sans réponse de ce qui s'est vraiment passé ce 11 septembre.

Mais il y a eu aussi quelque chose de plus profond. Une prise de conscience que la violence, justifiée par un discours démagogique, n'était pas la solution aux problèmes majeurs que vivent ces sociétés. L'option djihadiste a été de plus en plus marginalisée. Ce travail de remise en question, plus lent, plus difficile, a sans doute été un facteur des révoltes arabes de 2011. Mais ces révoltes ont vite été récupérées par les puissances dominantes pour en faire une nouvelle raison d'intervention militaire. Il y a un siècle, les guerres coloniales ont été faites avec l'excuse d'apporter la civilisation aux barbares.

Il y a 10 ans, le terrorisme symbolisé par le 11-Septembre était l'excuse de nouvelles interventions militaires. Aujourd'hui, c'est au nom de l'appui à la démocratie que ces interventions se font (Libye). Il faut remettre en question ces diverses excuses, et nommer les choses par leur nom: il s'agit avant tout de domination néocoloniale pour le contrôle des ressources, domination bien plus violente que les résistances qu'elle engendre.