Sarah Nadeau Marchand, Geneviève Payeur, Marianne Landry, Maude Soulières, Camille Hudon, Dominique Elie, Eric Goudie, Guillaume Dumais, Geneviève Giguère, Véronique Martel, Myriam St-Pierre-Lussier, René Wittmer, Patrick Macri        

Les auteurs sont des externes en médecine interne en première année à l'Université de Montréal.

Nous sommes de futurs médecins qui avons débuté nos stages cliniques il y a un peu plus d'une semaine.  Pour ceux qui ont suivi les dernières actualités du monde médical, cela signifie que nous sommes les principaux affectés par la grève des médecins résidents.

En tant normal, notre travail d'étudiant en apprentissage consiste à examiner des patients de toutes les sphères médicales et à suggérer une démarche clinique en vue d'arriver à un diagnostic et à un traitement.  L'ensemble de cette procédure est supervisé par les résidents et les médecins en charge qui nous questionnent et nous expliquent au fur et à mesure les particularités des différentes pathologies.  C'est ce que l'on appelle l'enseignement clinique.

Or, la situation est bien différente depuis la rentrée.  Les résidents, qui assurent habituellement la plus grande partie de l'enseignement direct aux externes, ne nous adressent pas la parole pour toute question relative à la sphère médicale.  Ils nous répondent systématiquement de se référer au médecin en charge.  Les gardes assurées par les résidents, qui constituent un des rares moments où le ratio étudiants-enseignant permet un contexte d'apprentissage privilégié, sont suspendues. Plus encore, si interrogés par le médecin devant un externe, beaucoup de résidents refusent de répondre, considérant cela comme de l'enseignement indirect.  Cela va même parfois jusqu'à nous exclure de réunions interdisciplinaires auxquelles les résidents participent, parce qu'encore une fois, cela est considéré comme de l'enseignement indirect.

Nos patrons, des médecins compétents et compréhensifs, font de leur mieux pour prodiguer eux-mêmes l'enseignement généralement donné par les résidents, mais ils sont souvent débordés et ne peuvent compenser complètement le déficit.  Laissés alors à nous-mêmes, nous révisons longuement les dossiers médicaux à la recherche de réponses, avec le sentiment d'embêter des autres membres du personnel soignant qui cherchent à obtenir les mêmes dossiers pour compléter leur travail.  Et encore, certains de nos collègues, à défaut d'étudier de vrais cas avec des patrons surchargés, sont contraints d'étudier des cas théoriques à la bibliothèque.  Mais tous les médecins vous le diront, les patients réels sont souvent bien éloignés des cas théoriques...

À l'heure où nous rédigeons cette lettre, les négociations entre le ministère de la Santé et la Fédération des médecins résidents du Québec sont au point mort.  L'espoir d'une résolution du conflit dans un avenir rapproché nous apparaît donc bien mince.  Si nous percevons l'impact de cette grève après une seule semaine de stage, qu'en sera-t-il si la grève se poursuit sur plusieurs autres semaines voire des mois ?

Un de nos collègues a téléphoné au cabinet du ministre de la Santé la semaine dernière pour dénoncer l'état de la situation et s'est vu répondre par un employé : «Tu te reprendras au prochain stage».  Or, avec des stages uniques souvent très distincts les uns des autres, les lacunes au point de vue des connaissances et des compétences accumulées dans un domaine sont difficilement rattrapables dans les stages subséquents.  Ainsi, comment un stage de psychiatrie nous permettra-t-il de rattraper des compétences manquantes en obstétrique ?

Si vous ne travaillez pas dans le domaine de la santé, sans doute les implications de la grève qui sévit présentement vous paraissent-elles lointaines.  Mais dans deux ans, si nous parvenons à tenir bon malgré les moyens de pression actuels et graduons tel que prévu, nous deviendrons médecins à notre tour.  Nous aurons alors des décisions vitales à prendre, et ce notamment dans des moments critiques comme les gardes.  Et si des lacunes accumulées lors de nos stages nous amènent à faire des erreurs médicales coûteuses en terme de vies humaines, que répondra le ministère de la Santé ? «Vous vous reprendrez avec le prochain patient ?»