Lorsque l'Ontarienne Loblaws a acheté Provigo en 1998, plusieurs craignaient que les producteurs québécois perdent leur place dans les magasins. C'est pour cette raison que le gouvernement du Québec avait convaincu Loblaws d'adhérer à une clause d'achats minimums au Québec pour un certain nombre d'années.

Mais moi, je savais très bien que Loblaws ne ferait pas l'erreur de diminuer ses achats au Québec, car elle avait trop à perdre. Ma crainte majeure se situait à un autre niveau: la haute direction de Loblaws aurait-elle l'intelligence de garder à Montréal une direction québécoise digne de ce nom, une direction sensible aux habitudes de consommation alimentaire des Québécois et capable de réagir rapidement à toute situation engendrée par la compétition? Du moins, je l'espérais, car l'histoire est pleine d'exemples d'entreprises qui, faisant fi de la société distincte qu'est le Québec alimentaire, ont entrepris de canadianiser leurs opérations avec, chaque fois, des résultats décevants qui ont souvent amené leur disparition.

Eh bien, Loblaws est bêtement tombée dans le panneau. Au cours des 13 dernières années, c'est par centaines que des cadres et autres employés hors magasins ont quitté l'entreprise ou se sont carrément fait montrer la porte, très souvent avec de généreuses allocations de départ pour éviter des vagues qui auraient alerté les médias sur ce qui se passait.

La mise en marché des magasins, autrefois pensée, gérée et implantée au Québec par des Québécois, pour des consommateurs québécois, est maintenant pensée et gérée à partir de Toronto. L'input local est minimal et le résultat est d'une tristesse qui fait presque brailler.

Alors que Metro, avec des guerriers locaux comme Éric Laflèche et Robert Sawyer, qui ont succédé aux Pierre Lessard, et qu'IGA, avec Marc Poulin, digne successeur des Jean-Guy Deaudelin et Pierre Croteau, font la pluie et le beau temps, Provigo perd du terrain chaque jour et ne semble plus savoir où il s'en va.

L'esprit qui animait les propriétaires de supermarchés Provigo avant que Loblaws en fasse l'acquisition n'y est tout simplement plus. Quand un nouveau joueur arrive, il gruge les parts de marché de Provigo beaucoup plus que celles de Metro ou d'IGA. En fait, qui sont les guerriers locaux de Provigo? Je serais bien embêté de vous dire qui gère Provigo au Québec tellement toutes les décisions importantes sont maintenant prises à Toronto. Metro et IGA sont en train de faire subir à Provigo ce que ce dernier et Metro ont fait subir à Dominion et à Steinberg dans les années 90. Provigo aurait dû suivre l'exemple d'IGA, une entreprise qui appartient à Sobey's des Maritimes mais qui a su, au cours des années, donner à sa filiale québécoise toute l'autonomie nécessaire à son succès.

Ce qui est vraiment dommage dans tout cela, c'est le manque de respect que Loblaws démontre envers les Denault, Turmel, Provost et Lamontagne qui ont fondé Provigo en 1969 pour en faire un fleuron de l'entrepreneuriat québécois. Ces derniers mériteraient certes beaucoup plus que le désastre actuel.

Ce qui est certain, c'est que, dans le commerce de détail, il n'y a pas de pardon pour les mésadaptés. Ou bien vous êtes un leader qui montre le chemin, ou bien vous suivez le leader en essayant de le rattraper.

Bientôt, Provigo ne sera même plus dans la course pour rattraper ceux qui l'ont dépassé. Et il n'aura que lui-même à blâmer. Si Provigo veut redevenir un joueur clé sur l'échiquier alimentaire du Québec, il va falloir que Loblaws révise sa position et constate que la stratégie de Metro et d'IGA est pas mal supérieure à la sienne, car la centralisation des opérations est souvent contraire aux impératifs locaux.