Le succès populaire du maire de Québec doit beaucoup au cynisme des citoyens. Ses insultes à la fonction publique, le dénigrement de ses adversaires et son attitude désinvolte dans certains médias alimentent une image d'opposant à l'élite politique certaine de plaire aux cyniques.

L'impressionnante estime populaire dont Régis Labeaume bénéficie à Québec, mais aussi dans le reste de la province, doit beaucoup plus à cette image qu'à ses réalisations concrètes ou à son programme. Paradoxalement, la démocratie souffre de la popularité d'un politicien lorsqu'elle est acquise par un tel excès de populisme.

La décrépitude des infrastructures publiques, les rumeurs de corruption, le niveau d'adversité du débat politique et les craintes d'un endettement public excessif meublent l'actualité politique québécoise depuis plusieurs mois, nourrissant un inquiétant cynisme à l'endroit de l'élite politique. Ce cynisme est inquiétant non pas parce que l'élite politique serait sans reproche, mais parce que le désespoir des cyniques risque de les attirer vers le premier des politiciens populistes, prêt à bousculer ce qui s'apparente à l'establishment.

Ceux qui sont séduits par les bousculeurs de l'establishment oublient souvent que la légitimité démocratique ne repose pas que sur la popularité de l'élu. L'élu a le devoir de justifier ses choix de manière raisonnable devant les inévitables objections, ce qui permet parfois d'améliorer les programmes politiques.

L'élu, comme le citoyen, doit aussi respecter les règles de droit pour éviter les abus de pouvoir. Le politicien qui doit sa popularité à sa désinvolture peut venir à croire qu'il n'a plus à justifier ses choix ou à respecter les lois. Au nom de l'esprit d'entreprise, il ne se laisse pas «encombrer» par le débat politique ou la bureaucratie, une attitude populiste qui renforce encore davantage son image anti-establishment et qui accroît sa popularité au sein d'une population cynique.

Le projet de loi 204, qui soustrait l'entente entre la Ville de Québec et Quebecor sur la construction d'un amphithéâtre à toute possibilité de contestation judiciaire, illustre parfaitement le danger du cynisme pour la démocratie. Jouissant d'une popularité qui n'a d'égale que le cynisme des citoyens envers l'élite politique, le maire de Québec n'a pas procédé par appel d'offres, comme l'exige la loi québécoise, avant de conclure une entente avec un partenaire privé. Rappelons que les exigences en matière d'appel d'offres pour les municipalités venaient alors d'être renforcées par le gouvernement du Québec pour éviter que ne se reproduisent des abus révélés par les médias et qui n'ont pas fini de faire scandale.

Et pour justifier un empressement qui n'a que faire des lois, le maire de Québec soutient que la bureaucratie est incompatible avec son sens de l'entrepreneuriat. Plutôt que de répondre aux objections, le maire préfère dire de ses opposants qu'ils en ont contre la Ville de Québec.

N'osant pas défier le populaire politicien qui se présente comme son antithèse, l'élite politique québécoise (à l'exception d'une poignée de ses membres) a aveuglément appuyé le projet de loi 204. Et les soubresauts du mois de juin n'ont pas empêché le premier ministre d'annoncer une adoption rapide de ce projet de loi à la session parlementaire d'automne.

Cette façon de produire des politiques publiques n'est certainement pas la plus raisonnable. Elle n'est que le reflet d'un cynisme dont profite le populiste et populaire maire de Québec.