L'auteur a été officier d'éthique militaire pour l'armée de terre au Québec pendant plusieurs années. À sa retraite, il était lieutenant-colonel à l'Académie canadienne de défense à Kingston.

Le règlement interdisant aux militaires toute liaison amoureuse lorsqu'en mission a été remis en question dans les médias dans la foulée de la condamnation en cour martiale de l'ex-brigadier général Daniel Ménard. Plusieurs jugent ce règlement déraisonnable, et l'avocat de M. Ménard va jusqu'à remettre en question sa constitutionnalité en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés.

Exiger le célibat à des centaines de militaires pour la plupart entre 18 et 30 ans et au pic de leur vigueur sexuelle est, admettons-le d'emblée, contre nature. Mais il s'agit d'un moindre mal. L'autre option a pour effet de porter une atteinte indue à l'esprit de groupe et à la cohésion qui sont le fondement de toute efficacité militaire. Le règlement des Forces canadiennes n'est pas unique. Tant les États-Unis que la plupart des pays d'Europe ont des règlements similaires au sein de leurs armées.

En fait, même le monde des affaires voit d'un mauvais oeil les liaisons romantiques entre employés travaillant en proximité physique, fonctionnelle ou hiérarchique. Il est facile de comprendre pourquoi.

Tout simplement, il y a la haute incidence de jalousie entre collègues de travail, générée par l'apparence indéniable de favoritisme. Inversement, il y a la peur de représailles dans le cas où les avances seraient repoussées. Puis, après l'inévitable rupture, il s'ensuit habituellement une relation acrimonieuse entre les parties concernées, qui affecte les collègues de travail. Ces derniers finissent habituellement par prendre parti pour ou contre l'un ou l'autre, créant ainsi un environnement de travail toxique pour tous.

En zone opérationnelle, la situation est exacerbée par le stress dû à l'environnement périlleux, et par l'absence de parents et amis. Ces derniers n'étant pas disponibles pour offrir du soutien moral en zone opérationnelle, les armées ont de tous les temps compris que la solidarité du groupe et la cohésion de l'équipe sont des éléments indispensables au maintien du moral de l'individu, et même de son équilibre psychique. Les implications romantiques dans un tel environnement frappent au coeur même de ce fragile arrangement.

Ces considérations s'appliquent aux militaires de même rang. Dans le cas de relations intimes entre supérieur et subordonné, l'apparence de favoritisme et la peur de représailles sont exacerbées par la réelle possibilité soit d'être protégé du danger, ou inversement d'y être injustement expédié, avec pour conséquence la mort ou la mutilation.

Il n'existe pas de manifestation plus flagrante d'inconduite militaire que l'abus de pouvoir de la part d'un supérieur en zone opérationnelle. On ne doit pas sous-estimer la puissance de la menace sous-entendue de représailles, même si elle n'est que perçue, chez une personne qui repousserait les avances ou qui mettrait fin à la relation. Et cela est d'autant plus vrai plus le supérieur en question est puissant ou «intouchable».

Inversement, il existe l'apparence (et la réelle possibilité) que le subordonné «tienne» le supérieur, que la relation soit intense ou qu'elle soit détériorée à la suite d'une rupture. Ce ne serait pas la première fois qu'un subordonné séduise un supérieur en vue d'extirper des faveurs ou, en zone opérationnelle, en vue d'esquiver des tâches dangereuses.

En principe, toute personne, homme ou femme, qui possède la maturité et l'intelligence nécessaires à se voir confier une arme en zone de guerre devrait pouvoir manifester la force de caractère et la volonté requises pour repousser les avances romantiques qui risqueraient d'affecter négativement l'environnement de travail.

Dans la vraie vie, cependant, les êtres humains sont faillibles, et les hormones ne contribuent certainement pas à la situation au cours d'une mission de six à huit mois loin du conjoint ou du partenaire. D'où le règlement, pour aider l'individu à résister à la tentation.

Quant au règlement affectant les couples même mariés, il s'agit tout simplement d'éviter la jalousie compréhensible de la part de ceux qui n'ont pas accès au même biscuit, et de contribuer à la solidarité de l'équipe par le partage du fardeau commun du célibat forcé.

En fait, il s'agit tout simplement de gros bon sens fondé sur la raison et l'expérience.

Contrairement au monde civil, l'expérience militaire s'acquiert trop souvent au prix du sang versé. Les règlements militaires s'appliquant aux opérations sont généralement le résultat d'une expérience acquise à un tel prix. S'il est vrai que certains règlements peuvent être désuets et mériter une révision, force est de constater que le cas présent ne constitue pas une telle situation.